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entre nous ; car vous ne nous avez laissé aucune sorte de hardiesse, ni nous à vous aucune sorte de crainte. Il y a des maisons où les vertus et les vices sont un peu plus mêlés. Mais revenons à la bataille.

M. de Turenne a donc encore battu les ennemis, pris huit pièces de canon, beaucoup d’armes et d’équipages, et demeuré maître du champ de bataille. Ces victoires continuelles font grand plaisir au Roi. J’ai trouvé la lettre que vous lui écrivez fort bonne ; je voudrois qu’elle pût faire un bon effet. Jamais la fortune ne m’a fait un plus sensible déplaisir qu’en vous abandonnant. Elle a encore plus abandonné M. de Rohan. Son affaire va mal[1]. Il

  1. 5. Louis, chevalier de Rohan, le fils cadet, l’enfant gâté de la belle et galante princesse de Guémené, le neveu de Mme de Chevreuse, du prince de Soubise, de l’abbesse de Malnoue et de la seconde duchesse de Luynes. Il avait été reçu le 9 février 1656, en survivance de son père, grand veneur de France ; mais il avait, en 1670, vendu sa charge au marquis de Soyecourt. Des Réaux (tome IV, p. 482, 484) parle de sa belle mine, de son courage et de son esprit déréglé. Voyez plus haut, p. 189, la lettre du 9 février 1673, note 3, et la Correspondance de Bussy, tomes I, p. 104 ; II, p. 197, 408. — Le chevalier de Rohan avait tramé un complot insensé avec la Truaumont, gentilhomme de Normandie, le chevalier de Préault, neveu de la Truaumont, la dame de Mallorties de Villers, et un vieux professeur ou maître d’école hollandais, nommé van den Ende, qui était venu demeurer au faubourg Saint-Antoine et servait d’intermédiaire, se rendant de sa personne à Rouen et à Bruxelles. Le but de la conjuration était d’exciter un soulèvement en Normandie et de livrer Quillebeuf aux Hollandais et aux Espagnols. « Le chevalier de Rohan doit être condamné aujourd’hui, » écrit l’évéque de Verdun à Bussy, le 26 novembre 1674 ; « il a été sur la sellette avec un habit neuf et la meilleure mine du monde ; il ne croit pas mourir… Ce qui est vraisemblable, c’est qu’il a eu intention de tirer de l’argent des ennemis, et du reste de ne se mettre guère en peine de leur tenir parole. » Le lendemain 27 novembre (à quatre heures après midi, sur la petite place Saint-Antoine, à l’extrémité de la rue des Tournelles), il « eut la tête coupée avec le chevalier de Préault et Mme de Villers, qui mourut plus constamment que le chevalier de Rohan même ; car il fut d’abord étonné et montra quelque foi-