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affaire. D’abord on a cru ici qu’il ne falloit que des pommes cuites pour ce siége. Guilleragues disoit que c’étoit un duel, un combat seul à seul, entre M. de Grignan et le gouverneur d’Orange ; qu’il falloit faire le procès et couper la tête à M. de Grignan[1]. Nous avons un peu répandu à la vérité les méchantes plaisanteries ; et Mme de Richelieu, avec sa bonté ordinaire, a conté au dîner du Roi comme la chose va ; bien des gens la savent présentement, et l’on passe d’une extrémité à l’autre, disant que M. de Grignan en aura l’affront, et qu’il ne doit point entreprendre de forcer deux cents hommes avec du canon, étant sans autres troupes que le régiment des galères, qu’on n’estime pas beaucoup pour un siége. Monsieur le Duc et M. de la Rochefoucauld sont persuadés qu’il n’en viendra pas à bout. Vous reconnoissez le monde, toujours dans l’excès. L’événement réglera tout : je le souhaite heureux, et ne puis avoir de joie et de tranquillité, que je n’en sache la fin. Je serois fort fâchée que M. de Grignan allât perdre sa petite bataille.

J’ai fait vos compliments à Brancas ; il est persuadé que vous ne seriez pas présentement à l’épreuve de celui qui vous offriroit les suffrages de deux consuls[2].

Monsieur le Duc me demanda fort de vos nouvelles l’autre jour, et me pria de vous faire beaucoup d’amitiés. M. et Mme de Noailles, Mmes de Leuville[3] et d’Ef-

  1. 2. Allusion aux édits qui condamnaient les duellistes à la peine capitale.
  2. 3. Voyez la lettre précédente, p. 286.
  3. 4. Voyez tome II, p. 416, note 8. La marquise de Leuville, dit Saint-Simon, « étoit nièce de (Geoffroy, marquis de) Laigues, un des importants de la Fronde, qu’on prétendit que la fameuse Mme de Chevreuse avoit à la fin épousé secrètement. Sa nièce tâcha aussi d’être importante. Elle avoit beaucoup d’esprit, de domination, d’intrigue et d’amis qui se rassembloient chez elle et qui lui donnoient de la considération. C’étoit une femme qui, sans tenir à rien, eut