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tôt, j’ai pensé l’embrasser en songeant comme il vous a bien menée ; je l’ai fort entretenu de vos faits et gestes, et puis je lui ai donné de quoi boire un peu à ma santé. Cette lettre vous paraîtra bien ridicule ; vous la recevrez dans un temps où vous ne songerez plus au pont d’Avignon. Faut-il que j’y pense, moi, présentement ? C’est le malheur des commerces si éloignés ; il faut s’y résoudre, et ne pas même se révolter contre cet inconvénient : cela est naturel, et la contrainte seroit trop grande d’étouffer toutes ses pensées. Il faut entrer dans l’état naturel où l’on est, en répondant à une chose qui tient au cœur : vous serez donc obligée de m’excuser souvent. J’attends des relations de votre séjour à Arles ; je sais que vous y aurez trouvé bien du monde. Ne m’aimez-vous point de vous avoir appris l’italien ? Voyez comme vous vous en êtes bien trouvée avec ce vice-légat[1] : ce que vous dites de cette scène est excellent ; mais que j’ai peu goûté le reste de votre lettre ! Je vous épargne mes éternels recommencements sur ce pont d’Avignon : je ne l’oublierai de ma vie.


1671

142. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ ET DE CHARLES DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 6e mars.

Il est aujourd’hui le 6e de mars ; je vous conjure de me mander comme vous vous portez. Si vous vous portez bien, vous êtes malade ; mais si vous êtes malade, vous vous portez bien. Je souhaite, ma fille, que vous soyez malade, afin que vous ayez de la santé au moins pour quelque temps. Voilà une énigme bien difficile à comprendre

  1. 4. La ville d’Avignon et le Comtat étaient gouvernés, au nom du pape, par un vice-légat.