Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 2.djvu/366

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 360 —

1671

203. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 16e septembre.

Je suis méchante aujourd’hui, ma fille ; je suis comme quand vous me disiez : « Vous êtes méchante. » Je suis triste, je n’ai point de vos nouvelles. La grande amitié n’est jamais tranquille. Maxime. Il pleut, nous sommes seuls ; en un mot, je vous souhaite plus de joie que je n’en ai aujourd’hui. Ce qui embarrasse fort mon abbé, la Mousse et mes gens, c’est qu’il n’y a point de remède à mon chagrin. Je voudrois qu’il fût vendredi pour avoir une de vos lettres, et il n’est que mercredi : voilà sur quoi on ne sait que me faire ; toute leur habileté est à bout ; et si par l’excès de leur amitié ils m’assuroient, pour me contenter, qu’il est vendredi, ce seroit encore pis ; car, si je n’avois point de vos lettres ce jour-là, il n’y auroit pas un brin de raison avec moi ; de sorte que je suis contrainte d’avoir patience, quoique ce soit une vertu, comme vous savez, que je n’ai guère à mon usage : enfin je serai satisfaite avant qu’il soit trois jours. J’ai une extrême envie de savoir comme vous vous portez de cette frayeur : c’est mon aversion que les frayeurs. Pour moi, je ne suis pas grosse, mais elles me la font devenir, c’est-à-dire qu’elles me mettent dans un état qui renverse entièrement ma santé. Mon inquiétude présente ne va pas jusque-là : je suis persuadée que la sagesse que vous avez eue de garder le lit vous aura entièrement remise. Ne me venez point dire que vous ne me manderez plus rien de votre santé ; vous me mettrez au désespoir ; et n’ayant plus de confiance à ce que vous me diriez, je serois toujours comme je suis présentement. Il faut avouer que nous sommes à une belle distance l’une de l’autre, et que si l’on avoit quelque chose sur le cœur dont on atten-