1670
que Monsieur le commandant n’y a pas plus de part que Monsieur de Grignan ; et je vois, ce rne semble, un fonds pour vous qui ne seroit point pour un autre. Je vois un commerce si vif entre vous et une certaine dame, qu’il seroit ridicule de prétendre vous rien mander. Il n’y a pas seulement la moindre espérance de vous apprendre qu’elle vous aime : toutes ses actions, toute sa conduite, tous ses soins, toute sa tristesse, vous le disent assez. Je suis fort délicate en amitié, et ne m’y connois pas trop mal. Je vous avoue que je suis contente de celle que je vois, et que je n’en souhaiterois pas davantage. Jouissez de ce plaisir, et n’en soyez pas ingrat. S’il y a une petite place de reste dans votre cœur, vous me ferez un plaisir extrême de me la donner ; car vous en avez une très-grande dans le mien. Je ne vous dis point si j’ai soin de votre chère moitié, si j’ai la dernière application pour sa santé, et si je souhaite que toute la barque arrive à bon port : si vous savez aimer, vous jugerez aisément de tous mes sentiments.
Plût à Dieu que votre pauvre femme fût aussi heureuse que la petite Deville[1] ! Elle vient d’accoucher d’un garçon qui paroît avoir trois mois. Ma fille disoit tout à l’heure : « Ah ! que je suis fâchée ! la petite Deville a pris mon garçon ; il n’en vient point deux dans une même maison. » Je lui ai donné, c’est-à-dire à ma fille, un livre pour vous ; vous le trouverez d’une extrême beauté ; il est de l’ami intime de Pascal[2] ; il ne vient rien de là que de parfait : lisez-le avec attention. Voilà aussi
- ↑ LETTRE 113. — I. Femme du maître d’hôtel du comte de Grignan. Sur elle et sur son mari, voyez la lettre de Noël, 1671.
- ↑ 2. Cet ami intime de Pascal est Nicole, l’auteur des Essais de Morale. Il publia au mois d’août 1670 son livre de l’Éducation d’un Prince, avec trois Discours de feu M. Pascal sur la condition des Grands. Voyez Port-Royal de M. Sainte-Beuve, tome III, p. 322.