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vaudra mieux qu’une terre de dix mille livres de rente. Pour vos autres affaires, je n’ose y penser, et j’y pense pourtant toujours. Rendez vous la maîtresse de toutes choses : c’est ce qui vous peut sauver ; et mettez au premier rang de vos desseins, celui de ne vous point abîmer par une extrême dépense, et de vous mettre en état, autant que vous pourrez, de ne pas renoncer à ce pays-ci. J’espère beaucoup de votre habileté et de votre sagesse ; vous avez de l’application : c’est la meilleure qualité qu’on puisse avoir pour ce que vous avez à faire[1].

Je ne suis pas de votre avis pour votre manière d’écrire : elle est parfaite ; il y a des traits dans vos lettres où l’on ne souhaite rien. Si elles étoient de ce style à cinq sols que vous honorez tant, je doute qu’elles fussent si bonnes.

Vous me dites que vous êtes fort aise que je sois persuadée de votre amitié, et que c’est un bonheur que vous n’avez pas eu quand nous avons été ensemble. Hélas ! ma bonne, sans vouloir vous rien reprocher, tout le tort ne venoit pas de mon côté. À quel prix inestimable ai-je toujours mis les moindres marques de votre amitié ! En ai-je laissé passer aucune sans en être ravie ? Mais aussi combien me suis-je trouvée inconsolable quand j’ai cru voir le contraire ! Vous seule pouvez faire la joie et la douleur de ma vie ; je ne connois que vous, et hors de vous tout est loin de moi. La raison me rapproche plusieurs choses, mais mon cœur n’en connoît qu’une. Dans cette disposition, jugez de ma sensibilité et de ma délicatesse, et de ce que j’ai pu sentir pour ce qui m’a éloignée très-injustement de votre cœur. Mais laissons tous ces discours ; je suis contente au delà de tous mes desirs : ce que je souffre, c’est par rapport à vous, et point du tout par vous[2].

  1. 2. Voyez la Notice, p. 132.
  2. 3. Voyez encore la Notice, p. 121 et suivantes.