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NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE. 495

d’Autriche et la Fronde sont des objets très-curieux et très-piquants, et Mme de Motteville ennuie.

Mme de Sévigné raconte supérieurement les plus parfaits modèles de narration se trouvent dans ses lettres. Rien n’est égal à la vivacité de ses tournures et au bonheur de ses expressions c’est qu’elle est toujours affectée de ce qu’elle raconte; elle peint comme si elle voyoit, et l’on croit voir ce qu’elle peint. Elle paroît avoir eu une imagination très-active et très-mobile, qui l’attachoit successivement à tous les objets. Dès qu’elle s’en occupe, ils prennent un grand pouvoir sur elle. Voyez la mort de Turenne personne ne l’a pleuré de si bonne foi; mais aussi personne ne l’a tant fait pleurer. C’est la plus belle oraison funèbre de ce grand homme, et surtout la plus touchante. Jamais il n’a été si bien loué ni si bien regretté jamais on n’a rendu sa mémoire plus chère et plus respectable. Pourquoi? Ce n’est pas seulement parce que tout est vrai et senti, c’est qu’on ne se méfie pas d’une lettre comme d’un panégyrique. C’est une terrible tâche que de dire « Écoutez-moi, je vais louer s écoutez-moi, et vous allez pleurer. » Alors précisémen ton pleure et on admire le moins qu’on peut; et lorsque l’orateur nous y a forcés il a fait son métier on met sur le compte de son art une partie de la gloire de son héros. Mais celui qui s’entretient familièrement avec moi me fait bien plus d’impression il n’a point de mission à remplir son âme parle à la mienne, et s’il est véritablement affecté, il se rend maître de moi et me communique tout ce qu’il sent. Ceux qui aiment à réfléchir peuvent tirer un autre avantage des lettres de Mme de Sévigné c’est d’y voir sans nuage l’esprit de son temps, les opinions qui régnoient, cequ’étoit le nom de Louis XIV ce-qu’étoit sa cour, ce quMtoit alors le mot de cour ce qu’étoit la dévotion, ce qu’étoit un prédicateur de Versailles, ce qu’étoit le confesseur du Roi, la Chaise, chez qui Luxembourg accusé alloit faire une retraite. Ce mélange de foiblesses, de religion et d’agréments qui caractérisoitles femmesles plus célèbres cette délicatesse d’esprit qui, dans les courtisans, se mêloit à l’excès de l’adulation ce ton de chevalerie et d’héroïsme qui n’excluoit pas le talent de l’intrigue et fait pour plaire à un prince dont la grandeur avoit une teinte romanesque enfin, dans tous les genres, ces caractères de supériorité qui appartiennent à l’époque des grands talents et des grands succès et qui en imposent à la dernière postérité, voilà ce qu’on trouve dans les lettres de Mme de Sévigné. Il n’y a point de livre qui donne plus à réfléchir à ceux qui observent la différence d’un siècle à un autre. C’est ce même avantage qui rend les lettres de Cicéron à Atticus si précieuses en les lisant, onconnoît mieux César et Pompée que par tous les monuments historiques. Cicéron nous instruit d’autant mieux