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1691 le 15e octobre, parlant au Roi ; et je reçus la grâce le 16e. Mais voulez·vous savoir de qui je la tiens ? de Dieu, du P. de la Chaise et de Mme de Maintenon. Je ne sais pas si le Roi y apporta de la résistance, mais je sais qu’il ordonna à M. de Pontchartrain de m’expédier mon brevet, et que quand je remerciai Sa Majesté, elle me dit les plus honorables paroles qu’elle pourroit dire à un prince du sang à qui elle feroit une grâce.

Mais ne cesserez-vous jamais, Madame, de reparler de la fortune que, selon toutes les apparences, je devois faire ? Je vous ai déjà dit plusieurs fois que les regrets en étoient passés, et je ne trouve ni assez chrétien, ni d’un esprit comme le vôtre de porter impatiemment les adversités et de se rafraîchir la mémoire de choses désagréables et surtout dans le temps que je reçois une grâce que je n’ai garde d’empoisonner par de fâcheuses idées. Laissons donc là toutes les pensées des malheurs passés, et ne songeons qu’aux grâces présentes et à en jouir longtemps. C’est cela qui est de bon sens, Madame, quand on ne laisse pas d’ailleurs de songer à la mort et à son salut.

Je reçois comme je dois les compliments de M. de Grignan, de la belle Comtesse, de Monsieur votre fils et de M. de Coulanges. Pour vous, ma chère cousine, vous devez être contente sur mon sujet, si pour l’être il ne faut que bien savoir que je le suis. Oui, ma chère cousine, je le suis, en ne regardant même que moi ; mais je le suis encore bien davantage quand je regarde les morts de MM. de Louvois, de la Feuillade et de la Trousse[1], tous trois plus jeunes et mille fois plus heu-

  1. Lettre 1338. — 1. « M. de la Trousse mourut à Paris ; il étoit chevalier de l’ordre, lieutenant général et gouverneur d’Ypres. Ce gouvernement lui valoit plus de quarante-cinq mille francs. (Journal de Dangeau, 10 octobre 1691)