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1691 assez jolie[1], de fort bonne humeur, a de l’esprit. J’y soupois réglement tous les jours, avec cinq ou six des plus jolies femmes de la ville et cinq ou six des plus honnêtes gens de la suite du prince. J’y manquai deux fois, parce que les veilles m’avoient fort enrhumé. L’intendante, qui ne se payoit pas de mes raisons, proposa un soir. sur les deux heures après minuit, de venir faire un charivari à Briord[2]et à moi, qui étions logés vis-à-vis l’un de l’autre. Ils vinrent donc avec quatre tambours et six trompettes à nos fenêtres, et après une heure de cette sérénade, ils se retirèrent sans avoir pu m’éveiller. Je l’appris le lendemain de Monsieur le Prince, à qui l’on l’avoit déjà conté. Voici ce que j’écrivis sur cela à l’intendante.

« Ce mardi matin, 20e juin.

« Il y a vingt et cinq ans, Madame, que si vous aviez été au monde, faite comme vous êtes, vous n’auriez pas eu besoin de tambours, de trompettes, pour m’ôter le repos, et ce n’auroit pas aussi été avec ces sortes d’instruments-là que j’aurois essayé de troubler le vôtre. Cependant, Madame, je vous avertis que vous avez perdu vos peines, car je n’ai jamais mieux dormi que cette nuit. »


Eh bien ! ma chère cousine, ce billet vous plaît-il ? Vos Provençaux, à soixante ans passés, en écrivent-ils d’aussi galants ? Ma foi ! il est bien vrai que bon cheval ne fut jamais rosse !

Je trouve comme vous que les jours, les semaines, les mois et les années vont fort vite ; mais cela ne me fait pas tant de peur qu’à vous : la nécessité de mourir m’en console ; si quelqu’un s’en sauvoit, j’en serois au déses-

  1. 10. Plusieurs pages de cette lettre sont biffées dans le manuscrit ; le mot assez, devant jolie, l’a été avec un soin tout particulier.
  2. 11. Voyez tome III, p. 207, note 13.