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1691 attaqué. Cette goutte vous a donné seulement quelques pensées noires, et vous a fait entrer dans l’avenir par le côté le plus triste qui pût se présenter à vous ; mais cet état si violent et si contraire à votre humeur n’a pas eu le loisir de faire aucune impression.

Malgré la Saint-Pierre passée, et la prédiction des médecins, voilà donc un pape fait, et les cardinaux sortiront du conclave sans qu’il leur en coûte la vie ; au contraire, ils retrouveront leur santé et leur liberté. Ce n’est pas la première fois que Messieurs de la Faculté se sont trompés. M. le duc de Chaulnes nous écrit une lettre du 15e, par le courrier qui porte la nouvelle de l’exaltation : il ne songe qu’à nous venir voir ; il sera quinze jours avec nous ; et quoique le pape soit Napolitain, il prétend que l’affaire des bulles est si bien disposée, que ce sera le coup de partance, et le boute-selle pour venir à Grignan ; cette espérance nous donne bien de la joie, et abrége fort la part que je voulois prendre à tous vos tristes almanachs : voilà qui est fait, mon cousin, vous êtes guéri, vous êtes parti, vous arrivez ici, je vous embrasse mille fois. Parlons un peu de la table du cabinet de Monsieur l’ambassadeur, de ce chaos de lettres, de ces abîmes de poches, de cette confusion de papiers, qui fait que, comme dans l’enfer, quand une pauvre lettre y est une fois jetée, jamais elle n’en sort. Ce fut un beau miracle de retrouver la mienne ; mais c’étoit celle de ma fille, dans laquelle j’avois écrit : elle a voulu s’offenser d’être ainsi perdue et confondue ; mais je l’ai apaisée le mieux que j’ai pu, en l’assurant que Monsieur l’ambassadeur avoit lu ce qu’elle lui mandoit avec la dernière attention, et que c’étoit sur mon écriture qu’il n’avoit pas daigné jeter les yeux ; et cela est vrai, puisqu’il disoit que je ne lui avois point écrit ; elle répond : « Mais puisque c’étoit ma lettre, pourquoi la jeter dans ce chaos ? » À cela je ne sais