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qui à juste prix lui font un joli jardin, chose inconnue 1703 en ce pays-ci. Si vous vouliez, Madame, une chambre dans cette bastide, vous vous délasseriez de la vue de vos bois, et vous verriez différents amphithéàtres richement meublés de dix mille maisons de campagne rangées comme avec la main ; vous verriez la mer d’un côté dans toute son étendue, et de l’autre serrée dans des bornes qui forment un canal fort magnifique : c`est assurément une jolie solitude. Je ne sais si Monsieur le chevalier se résoudra de la quitter pour Paris, et vous comprenez bien, Madame, qu’il nous attache, et que ce ne sera pas sans peine que nous le laisserons dans sa solitude, quoiqu’il l'aime, et qu’il en fasse un très—bon usage ; il s'est fait bâtir dans un couvent de carmes, qui est à Mazargues, un logement pour lui, avec une tribune, où il est souvent. Il n`y a rien à craindre dans ce lieu que de vivre trop longtemps ; on n`y voit que des personnes qui meurent à cent dix ans ; on ne connoît point les maladies : le bon air, les bonnes eaux font régner non-seulement la santé, mais la beauté. Dans ce canton, vous ne voyez que de jolis visages, que des hommes bien faits ; et les vieux comme les jeunes ont les plus belles dents du monde. S`il y a un peuple qui arrive à l`idée du peuple heureux, représenté dans Télémaque[1], c`est celui de Mazargues, ils sont laborieux à l`excès ; le terroir est cultivé et travaillé comme un jardin ; aussi tout le peuple est riche autant qu'il convient, c’est-à-dire qu'il abonde dans le nécessaire, sans que personne sorte de son etat ;

  1. 10. On ne connaissait encore cet admirable livre que par les éditions fautives qui en avaient été faites en Hollande, à l’insu de Fénelon. Ce ne fut qu’en 1717, deux ans après la mort de l'auteur, que le marquis de Fénelon donna une édition revue sur les manuscrits de l'archevêque de Cambrai ; on la regarde comme l’édition originale. (Note de l'édition de 1818.)