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1691 peu appliqués à les vaincre par les sentiments que doit inspirer la religion.

M. de Louvois est mort subitement : quelle mort, mon Dieu ! et quel sujet de réflexions ! mais elles se font dans l’imagination seulement, car si elles passoient dans le cœur et dans la volonté, nous quitterions tous le monde comme M. de Santenas, qui s’est fait moine de la Trappe[1]. J’irai demain passer le jour chez Mme de Louvois : il faut pleurer avec les malheureux, sans avoir ri avec eux pendant leur bonheur ; mais je ne les en plains pas moins, et je pense que je suis plus obligée à M. de Louvois de ce qu’il n’a rien fait pour moi, que je ne l’aurais été du contraire, du moins si l’on doit mesurer la reconnoissance sur le bonheur.

On ne peut tenir à trop peu de choses en ce monde ; c’est trop que de tenir à soi. Toutes les places qu’occupoit M. de Louvois sont presque remplies[2]. Pour moi, je

  1. 3. (M. de Santenas (ou Santena), Piémontois, qui avoit un régiment d’infanterie en France, et qui s’étoit mis à l’institut de l’Oratoire, est allé à la Trappe, et y a pris l’habit. » (Journal de Dangeau, 20 juillet 1691). Voyez encore le Journal de Dangeau au 18 février et au 5 mai 1691 ; la Relation de la vie et de la mort de frère Palémon, nommé dans le monde le comte de Santenas (Paris, Josset, 1695), et une lettre de Boileau dans le Mercure d’août 1691, p. 222 à 236. — Dangeau, au 20 novembre 1694, annonce la mort de Santenas, et Saint-Simon ajoute : « Santenas fut un grand exemple de pénitence même pour la Trappe, qu’il soutint et saintement et héroïquement, pendant les dernières années de sa vie principalement, parmi d’étranges infirmités. Le maréchal d’Humières, dont il étoit fort connu, suivant Monsieur sur les côtes, passa avec lui par la Trappe, et obtint de Monsieur de la Trappe, le fameux, qui vivoit alors (l’abbé de Ranzé ne mourut qu’en 1700), de voir et de parler en particulier à Santenas, duquel il tira à peine quelques paroles d’édification qui lui firent verser des larmes. » — La copie des Mémoires de Coulanges donne : « à la Trappe, » pour : « de la Trappe », et à la ligne précédente : « tout le monde, » pour : « tous le monde. »
  2. 4. Son troisième fils Barbesieux lui succéda comme secrétaire