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1691

1327. — DE MADAME DE COULANGES À COULANGES[1].

Paris, 23e juillet.

Vous me paroissez très-peu édifié de tout ce que vous voyez à Rome, et vous avez, je crois, raison ; mais où vous ne l’avez pas, c’est de dire qu’il n’est pas bon pour la religion de voir de près toutes ces choses. Il ne faut pas confondre tant de rares merveilles, c’est-à-dire qu’il faut séparer la religion des abus. La religion est pure et sainte, mais les hommes ont des passions, et ils prennent le prétexte de la religion pour les satisfaire. Ces abus-là sont plus ordinaires où vous êtes, parce que les intérêts y sont plus considérables. Ainsi au lieu de dire : « Il est bien dangereux d’être à Rome pour conserver sa foi, » il faut admirer la corruption[2] des hommes, qui font servir les choses les plus saintes pour satisfaire leur ambition. La religion a raison, les hommes ont tort ; cela est bien ancien et ne fait découvrir que ce que l’on a toujours vu. Saint Pierre seroit encore plus étonné que vous, s’il étoit témoin de ce que vous voyez ; mais sa charité lui feroit plaindre les hommes sujets à tant de passions, et si

  1. Lettre 1327 (revue sur une ancienne copie). — 1. On conserve à la Bibliothèque impériale une copie de cette lettre et de celle de Mme de Sévigné du 26 juillet suivant (ci-après, p. 45). En tête sont ces mots : « Lettres de Mme de Coulanges et de Mme de Sévigné à M. de Coulanges, écrites à cent cinquante lieues l’une de l’autre, que le hasard a fait arriver à Rome par le même ordinaire. » La lettre de Mme de Coulanges se lit aussi à la fin des Mémoires de Coulanges, avec ce titre : « Lettre de Mme de Coulanges du 23 juillet 1691. Réponse à une des miennes, écrite de Rome pendant les brouilleries du conclave. » Dans la copie de la Bibliothèque impériale, les deux lettres sont sans date.
  2. 2. ll y a complexion (complection, au lieu de corruption, dans la copie de la Bibliothèque impériale.