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1696

1451. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À COULANGES[1].

À Grignan, le 29e mars.

Toutes choses cessantes, je pleure et je jette les hauts cris de la mort de Blanchefort[2], cet aimable garçon, tout parfait, qu’on donnoit pour exemple à tous nos jeunes gens. Une réputation toute faite, une valeur reconnue et digne de son nom, une humeur admirable pour lui (car la mauvaise humeur tourmente), bonne pour ses amis, bonne pour sa famille ; sensible à la tendresse de Madame sa mère, de Madame sa grand’mère[3], les aimant, les honorant, connoissant leur mérite, prenant plaisir à leur faire sentir sa reconnoissance, et à les payer par là de l’excès de leur amitié ; un bon sens avec une jolie figure ; point enivré de sa jeunesse, comme le sont tous les jeunes gens, qui semblent avoir le diable au corps ; et cet aimable garçon disparoît en un moment, comme une fleur que le vent emporte, sans guerre, sans occasion, sans mauvais air ! Mon cher cousin, où peut-on trouver des paroles pour dire ce que l’on pense de la douleur de ces deux mères, et pour leur faire entendre ce que nous pensons ici ? Nous ne songeons pas à leur écrire ; mais si dans quelque occasion vous trouvez le moment de nommer ma fille et moi, et MM. de Grignan, voilà nos sentiments sur cette perte irréparable.

  1. LETTRE 1451. — 1. Cette lettre, la dernière qui nous reste de Mme de Sévigné, a été publiée pour la première fois en 1768, dans l’Année littéraire de Fréron, tome IV, p. 272-274, où elle est précédée d’une note, qui commence ainsi : « Toutes les lettres de Mme de Sévigné, de Mme de Grignan sa fille, et de quelques autres personnes illustres du dernier règne, n’ont point vu le jour. On en conserve encore dans quelques portefeuilles. »
  2. 2. Voyez ci-dessus, p. 176, note 4.
  3. 3. La maréchale de Créquy et Mme du Plessis Bellière.