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rage que j’avois eu d’y venir de Bretagne : je ne m’en suis pas repentie :

Je le ferois encor si j’avois à le faire[1]

Ma fille est aimable, comme vous le savez, elle m’aime extrêmement. M. de Grignan a toutes les qualités qui rendent la société agréable. Leur château est très-beau et très-magnifique. Cette maison a un grand air ; on y fait bonne chère, et on y voit mille gens. Nous y avons passé l’hiver sans autre chagrin que d`y voir le maître de la maison malade d’une fièvre, dont le quinquina a eu toutes les peines du monde à le tirer, tout quinquina qu'il est. Enfin il est guéri. Il a fait un voyage à Aix, où l`on a été ravi de le revoir. D`un autre côté, mon fils est venu encore de Bretagne prendre des eaux en ce pays[2] où la bonne compagnie, qu'il augmente fort par sa présence, lui fait plus de bien que tout autre remède. Nous sommes donc ici tous ensemble. Il y a une jeune petite Grignan[3] que vous ne connoissez pas, qui tient fort bien sa place. Elle a seize ans, elle est jolie, elle a de l’esprit ; nous lui en donnons encore. Tout cela ensemble fait fort bien et trop bien ; car je trouve que les jours vont si vite, et les mois et les années, que pour moi, mon cher cousin, je ne puis plus les retenir. Le temps vole et m`emporte malgré moi ; j'ai beau vouloir le retenir, c’est lui qui m`entraîne ; et cette pensée me fait grand'peur : vous devinez à peu près pourquoi. Le petit Grignan a passé l’hiver avec nous ; il a eu la fièvre ce printemps ; il n'est que depuis quinze jours retourné à son régiment, qui

  1. 2. Ce vers de Corneille se trouve déjà à la fin de la lettre de Bussy du 10 décembre précédent, tome IX, p. 598.
  2. 3. Sans doute les eaux de Vals (voyez tome IX, p. 116, note 9). Vals n’est pas bien loin de Grignan, de l’autre côte du Rhône.
  3. 4. Pauline.