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1695 Chaulnes. Encore faut-il bien vous apprendre, mon amie, que c’est le P. Gaillard qui ne doit point faire l’oraison funèbre de feu Monsieur l’Archevêque. Voici ce que je veux dire : Monsieur le premier président et le P. de la Chaise se sont adressés au P. Gaillard pour ce grand ouvrage ; le P. Gaillard a répondu qu’il y trouvoit de grandes difficultés ; il a imaginé de faire un sermon sur la mort au milieu de la cérémonie, de tourner tout en morale, d’éviter les louanges et la satire, qui sont deux écueils bien dangereux ; tout le prélude des oraisons funèbres n’y sera point. Il se jettera sur les auditeurs pour les exhorter ; il parlera de la surprise de la mort, peu du mort, et puis : Dieu vous conduise à la vie éternelle.[1]

Adieu, ma belle amie : ne me laissez jamais oublier à Grignan, je vous en conjure, et surtout de la charmante Pauline. le crois que M. de Chaulnes va acheter Villefrit de M. de Fieubet[2], dont Mme de Chaulnes paroît peu contente. Le confesseur extraordinaire[3]de Mme de Grignan me doit demain lire l’oraison funèbre qu’il a faite de ce saint homme.

  1. 2. « Le père Gaillard fit son oraison funèbre de l’Archevèque à Notre-Dame ; la matière étoit plus que délicate, et la fin terrible. Le célèbre jésuite prit son parti : il loua tout ce qui méritoit de l’être, puis tourna court sur la morale ; il fit un chef-d’œuvre d’éloquence et de piété. » (Saint-Simon, tome I, p. 291) — Ce fut à qui le déchireroit, dit l’abbé le Gendre de l’Archevêque son protecteur (p. 201) ; il n’y eut pas jusqu’au jésuite qui fit son oraison funèbre qui ne parlât de lui en des termes à faire croire que le prélat étoit damné. « Quels talents n’eut-il point ! dit ce pitoyable rhéteur (c’étoit le P. Gaillard). « Quel usage en fit-il ? Dieu le sait
  2. 3. Mort le 10 septembre 1694, dans sa maison de Villefrit, proche Paris. Voyez ci-dessus, p. 199, note 8. Il y a Villeflit dans l’édition de 1751.
  3. 4. L’abbé Anselme ; voyez tome VIII, p. 514, note 11, et ci-après, p. 325 et note 1. Il prononça le I2 septembre l’oraison funèbre de Fieubet dans l’église des Camaldules de Grosbois.