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1695 bien du mal de lui après sa mort : on a parlé du successeur[1] ; et depuis qu’il est nommé, on ne parle plus ni de l’un ni de l’autre : ceci est un tourbillon qui ne permet pas les réflexions. Tout le monde étoit fou hier à Paris ; on ne voyoit que des femmes désespérées ; les unes couroient les rues, les autres se faisoient enfermer dans les églises ; on entendoit : « Je n’ai plus de mari, je n’ai plus de fils » ; d’autres ne disoient pas ce qu’elles n’avoient plus, mais elles ne s’en désespéroient pas moins. La comtesse de Fiesque disoit que la bataille étoit donnée, et par conséquent gagnée ; elle ajoutoit que le prince d’Orange étoit prisonnier. Je me trouvai le soir chez Mme de Kerman, où étoit Mme de Sully, la duchesse du Lude, Mme de Chaulnes, et une douzaine d’autres femmes, dont étoit la comtesse de Fiesque ; quand elles eurent bien discouru, j’entrepris de leur remettre l’esprit (chose bien difficile) par un petit raisonnement, qui concluoit qu’il n’y auroit point de bataille ; elles se moquoient toutes de moi ; aujourd’hui que l’événement justifie mes raisons, elles croient que d’ici je conduis l’armée ; on ne parle que de ma pénétration, et sur cela je conclus qu’on ne sait presque jamais pourquoi on loue, ni pourquoi on blâme. J’étois hier folle, et aujourd’hui je suis la plus habile personne du monde ; et la vérité est que je ne suis ni folle, ni habile ; mais que par un courrier qui étoit arrivé on avoit appris qu’il étoit impossible de donner une bataille sans hasarder toute l’armée. M. de Conti l’a mandé au Roi, aussi bien que M. le duc du Maine, et tout ce qu’il y a de principal dans l’armée.

M. de Coulanges est toujours à Navarre ; il me prie

  1. Lettre 1427 — 1. Louis-Antoine de Noailles, évêque et comte de Châlons, depuis cardinal. Voyez tome V, p. 185, note 9. Le Roi l’avait nommé à l’archevêché de Paris le 19 août. Voyez la Gazette du 27 août.