1691
1321. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU DUC DE CHAULNES.
Mais, mon Dieu ! quel homme vous êtes, mon cher gouverneur ! on ne pourra plus vivre avec vous : vous êtes d’une diffîculté pour le pas, qui nous jettera dans de furieux embarras. Quelle peine ne donnâtes-vous point l’autre jour à ce pauvre ambassadeur d’Espagne[1] ? Pensez-vous que ce soit une chose bien agréable de reculer tout le long d’une rue ? Et quelle tracasserie faites-vous encore à celui de l’Empereur sur les franchises ? Ce pauvre sbire si bien épousseté en est une belle marque[2] ; enfin vous êtes devenu tellement pointilleux, que toute l’Europe songera à deux fois comme elle se devra conduire avec Votre Excellence. Si vous nous apportez cette humeur, nous ne vous reconnoîtrons plus. Parlons maintenant de la plus grande affaire qui soit à la cour. Votre imagination va tout droit à de nouvelles entreprises ; vous croyez que le Roi, non content de Mons et de Nice, veut encore le siège de Namur[3] : point du tout ; c’est une chose qui a donné plus de peine à Sa Majesté et qui lui a coûté plus de temps que ses dernières conquêtes ; c’est
- ↑ Lettre 132I — 1. Le duc de Medina-Celi. Voyez les Mémoires de Coulanges, p. 290
- ↑ 2. Il faut que l’événement dont parle Mme de Sévigné ait eu quelque suite, car on voit dans le Journal de Dangeau (31 juillet 1691), que l’ambassadeur garda l’incognito à Rome sur la fin de son séjour ; Coulanges n’en fait aucune mention. Voici le passage de Dangeau : « le duc de Chaulnes, notre ambassadeur, revient aussi ; il y a déjà quelque temps qu’il y est incognito, depuis que le prince de Lichtenstein a pris la qualité d’ambassadeur de l’empereur. » (Note de l’édition de 1818.)
- ↑ 3. Le Roi fit en effet le siège de Namur ; mais ce ne fut que l’année suivante. Il prit la ville au commencement de juillet 1692, après un siége de six semaines.