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1421. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU PRÉSIDENT DE MOULCEAU.

À Grignan, 29e juin.

C’est bien gagner son procès, Monsieur, que de le perdre comme vous faites. Je ne puis m’empêcher de vous dire, malgré le dessein que je vois que vous avez de rompre tout commerce avec le monde, que votre style, que nous avons reconnu et retrouvé avec les mêmes agréments, nous a fait une sorte de plaisir que nous n’avions pas senti depuis votre silence. Nous avons lu et relu plusieurs fois votre lettre, ma fille et moi ; elle est délicieuse, et vous n’avez peut-être pas senti ce qu’elle vaut. Que vous êtes heureux, Monsieur, de conserver cette sorte d’esprit avec le sérieux et la solidité de la dévotion ! elle vous fait faire des réflexions très—bien placées sur ces deux tropiques que vous avez vus depuis peu si près de vous, et je ne sais comme notre ami Corbinelli a pu résister à vos lettres. C’est dommage qu’une morale accommodée au style que vous avez avec lui eût été perdue : cette perte ne vous seroit pas arrivée avec nous et comme l’appétit vient en mangeant, il nous a pris une si

    pourroit croire que ce seroit mon intérêt qui me feroit parler. Cependant, Monsieur, je puis vous assurer que ce n’est que le sien propre, et que je crois qu’il ne peut mieux faire que de penser à avoir du repos. Ce n’est pas un emploi qui lui donne aucune considération : ainsi il n’y a rien à ménager, Je puis vous assurer que cette affaire dépend entièrement d’elle. Elle a peut-être en vue de la faire avoir à quelqu’un de ses proches ; mais si par malheur mon frère mouroit, nous sommes dans un temps où l’on seroit ravi d’avoir cet emploi pour récompenser quelqu’un : ainsi elle n’en profiteroit pas, ni la famille non plus. Je vous supplie de vouloir lui dire que je vous ai recommandé cet intérêt, et tâchez de lui faire dire tout cela par quelqu’une de ses amies qui la verront. Pardon, Monsieur, de la liberté que je prends ; mais je suis persuadée que vous le trouverez bon, et de me croire plus à vous que personne au monde.