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1695

1409. — DE COULANGES À MADAME DE SÉVIGNÉ.

À Paris, le 15e avril.

Je ne vous ai point écrit depuis la bizarre aventure de notre feu, et il y a un temps infini ; je vous en demande mille pardons, ma très-aimable Madame ; mais il faut excuser un homme qui n’est point à lui, et qui a toujours l’esprit bandé, comme je disois autrefois à Monsieur votre fils, qui me faisoit des reproches. Dès que j’eus pris part à la déconvenue de nos pauvres meubles. je m’en retournai à Versailles, et de là à Pontoise, d’où je ne suis revenu presque que pour m’en aller passer la quinzaine de Pâques à Bâville ; me voici présentement de retour de Bâville ; mais on m’a signifié de me tenir prêt pour aller à Chaulnes vers le 24e ou le 25e du mois, pour y demeurer jusqu’à la Pentecôte[1] ; je ne doute pas qu’en ce temps—là quelqu’un ne mette encore la main sur moi, et c’est ainsi que mes jours s’en vont insensiblement, et que je profite d’un regain de jeunesse, qui fait que je m’accommode encore du monde, et que le monde s’accommode encore de moi. Je ne sais plus ce qu’est devenue la goutte, je n’en ai point entendu parler depuis l’année passée ; et mes forces, et ma santé, et ma bonne humeur sont revenues de telle sorte, que je suis prêt de croire qu’il y a une très-grosse erreur dans mon baptistaire, et qu’il faut qu’on s’y soit trompé pour le moins de vingt ans ; car assurément à soixante et un ans passés on n’est point aussi jeune que je le suis. Vous êtes jeune aussi, ma très-aimable : je n’ai jamais vu une écriture plus ferme que la vôtre, ni un style plus délicieux ; vos lettres me font un plaisir sensible ; Mme de

  1. Lettre 1409 — 1. Pâques tombait en 1695 au 3 avril, et la Pentecôte au 22 mai.