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1695 événement ; les gens modérés croient que ce duc et cette duchesse se doivent trouver heureux de ce changement ; les autres les croient désespérés. Pour moi je dis tout ce que l’on veut, et suis très persuadée qu’il ne faut point juger de la manière de penser de nos amis par la nôtre ; c’est cependant un tort que le monde a toujours, et qu’il ne peut pas ne point avoir : il a plus tôt fait de juger par ses dispositions que d’examiner celles des autres. M. de Chaulnes fait bonne mine ; la duchesse se cache si bien, que je ne l’ai point vue ; il est vrai qu’il est assez aisé de m’échapper, car je fais naturellement peu de diligence, et j’en fais moins que jamais, dans l’espérance d’avancer toujours dans cette parfaite indifférence, dont vous ne vous apercevrez jamais, ma très-aimable. Au reste, ma santé n’est point du tout bonne ; il est plus question que jamais de me faire aller à Bourbon : il arrivera ce qu’il

    que le Roi en avoit fait la proposition à M. de Chaulnes, qui, après y avoir eu un peu de peine, a fait la chose de fort bonne grâce ; il étoit accoutumé à la Bretagne, et y étoit fort aimé. — Saint-Simon, dans une addition au 12 mars, donne de longs détails sur les motifs de ce changement, et, ce qui nous intéresse davantage, sur les liens d’affection qui existaient entre la Bretagne et son gouverneur (voyez cependant la lettre du 16 octobre 1675, tome IV, p. 183) : « …M. de Chaulnes, qui vivoit en roi en Bretagne, qui y répandoit en libéralités et en magnificence tout ce qu’il tiroit de cette amirauté, qui étoit adoré en Bretagne, et qui en étoit considéré, aimé, respecté comme le père de la province en général, et de chaque particulier en détail, aimoit de même les Bretons, et y avoit attaché son cœur… Le plus simple eût été de laisser mourir M. de Chaulnes, qui étoit vieux… Pour M. de Chaulnes, il obéit, ne cacha point sa douleur, c’est peu dire, mais son désespoir, que celui des Bretons, qui fut sans mesure, ne fît qu’accroître, en lui faisant sentir plus que jamais combien il étoit aimé. M. de Chevreuse eut beau protester qu’il n’y avoit eu aucune part, et qu’il n’en avoit pas même eu le secret, son oncle et sa tante, ne le lui pardonnèrent jamais. M. de Chaulnes ne fit que languir depuis, et mourut bientôt après de regret ; et sa femme, d’affliction de l’avoir perdu, incontinent après, sans avoir eu d’enfants. »