Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 10.djvu/242

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


dans cet hôtel ; je vous conjure, mon aimable amie, de ne m’y point oublier vous-même. Pauline vous embrasse, et ne sauroit plus se passer de vos douceurs. Nous sommes encore dans des visites de noces ; des Mmes de Brancas[1], des Mmes de Buous[2], dames de conséquence, qu’on avoit priées de ne point venir, ont rompu des glaces, ont pensé tomber dessous, ont été en péril de leur vie, pour venir faire un compliment : voilà comme on aime en ce pays ; en fait-on de même à Paris ? cependant, je me contente à moins, et je vous jure que j’aurai une joie fort sensible de vous revoir.

1695

1403. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À COULANGES.

À Grignan, le 3e février.

Madame de Chaulnes me mande que je suis trop heureuse d’être ici avec un beau soleil ; elle croit que tous nos jours sont filés d’or et de soie. Hélas ! mon cousin, nous avons cent fois plus de froid ici qu’à Paris ; nous sommes exposés à tous les vents ; c’est le vent du midi, c’est la bise, c’est le diable, c’est à qui nous insultera ; ils se battent entre eux pour avoir l’honneur de nous renfermer dans nos chambres ; toutes nos rivières sont prises ; le Rhône, ce Rhône si furieux, n’y résiste pas ; nos écritoires sont gelées ; nos plumes ne sont plus conduites par nos doigts, qui sont transis ; nous ne respirons que de la neige ; nos montagnes sont charmantes dans leur excès d’horreur ; je souhaite tous les jours un peintre pour bien représenter l’étendue de toutes ces épouvantables beautés : voilà où nous en sommes. Contez un peu

  1. 3. Il y avait beaucoup de Brancas en Provence.
  2. 4. Voyez tome II, p. 367, note 11.