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1695 niers temps ? mais comment peut-on vouloir paroître aux yeux du monde, ce monde dont on veut l’estime et l’approbation au delà du tombeau, comment veut-on lui paroître la plus avare personne du monde ? Avare pour les pauvres, avare pour ses domestiques, à qui elle ne laisse rien ; avare pour elle-même, puisqu’elle se laissoit quasi mourir de faim ; et en mourant, lorsqu’elle ne peut plus cacher cette horrible passion, paroître aux yeux du public l’avarice même ? Ma chère Madame, je parlerois un an sur ce sujet ; j’en veux à cette frénésie de l’esprit humain, et c’est m’offenser personnellement que d’en user comme vient de faire Mme de Meckelbourg ; nous nous étions fort aimées autrefois, nous nous appelions sœurs : je la renonce, qu’on ne m’en parle plus.

Parlons de notre hôtel de Chaulnes, c’est justement le contraire : ce sont des gens adorables, et qui font un usage admirable de leur bien : ce qu’ils reçoivent d’une main, ils le jettent de l’autre ; et quand ils n’avoient point les lingots de Saint-Malo[1], ils savoient fort bien prendre sur eux—mêmes pour soutenir les grandes places où Dieu les a destinés ; les pauvres se sentent de leur magnificence, enfin ce sont des gens qu’on ne sauroit trop aimer, et honorer, et admirer. J’en suis tellement entêtée, que je loue même Mme de Chaulnes d’avoir appris l’amitié à Monsieur : c’est une science que les personnes de l’élévation de Monsieur n’ont pas le bonheur de connoître. Je suis fort aise qu’on ne m’oublie point

  1. 2. Peut-être quelque droit sur les prises, ces profits dont parle Saint-Simon (tome II, p. 181 et 182) : « Les profits immenses du droit d’amirauté de Bretagne, dit-il, attachés au gouvernement de cette province, et qui pendant les guerres avoient été fort hauts, avoient fait croire qu’il (le duc de Chaulnes) laisseroit beaucoup de richesses. Il se trouva qu’il avoit tout dépensé... » — Voyez en outre au même tome des Mëmoires, p. 441.