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1694 écris ; car mes lettres ne peuvent être que tristes et ennuyeuses : je perds tous mes amis et amies. La mort du maréchal de BelleFonds[1]m’a donné une véritable douleur ; je suis la dernière visite qu’il ait faite ; je le vis en parfaite santé, et six jours après il étoit mort : on dit que c’est d’un abcès dans le genou, et que si on le lui avoit percé, on lui auroit sauvé la vie ; mais vous n’êtes pas la dupe de ces sortes de repentirs : il faut partir quand l’heure est venue. Sa famille est dans une désolation digne de pitié ; pour moi, je sens très-vivement cette perte. Ajoutez à cette mort celle de Mlle de Lestranges[2], qui étoit mon amie depuis vingt-cinq ans, et vous ne serez pas surprise de la noirceur de mes pensées. Ma santé est assez mauvaise ; Carette exerce son art très-inutilement sur ma personne ; il me donna, il y a quelques jours, une médecine qui me fit de très-grands maux ; mais il dit, comme don Carlos, tout est pour mon bien[3]. J’ai des journées assez bonnes, et puis des retours de colique plus violents que jamais ; je suis résolue à ne plus faire de remèdes, et à vivre avec ce mal tant qu’il plaira à Dieu : le pis qu’il en puisse arriver arrive sitôt, même avec une bonne santé, que l’événement ne vaut pas qu’on s’en tourmente ; il n’y a que les douleurs qui sont redoutables. Vous voyez, mon amie, par le récit de tous mes ennuis, quelle est ma confiance en votre amitié : je sens cependant le plaisir de vous savoir tous dans la joie. M. l’abbé de Marcillac me dit hier des biens infinis de M. et de Mme de Saint-Amant,

  1. Lettre 1395. — 1. Il mourut le 5 décembre 1694, au château de Vincennes, dont il était gouverneur. Voyez le Journal de Dangeau, au 5 décembre 1694.
  2. 2. « Mlle de Lestranges mourut ces jours passés à Châlons, où elle étoit avec Mme de Noailles la douairière. il y a longtemps que Mlle de Lestranges vivoit dans une grande retraite et dans une grande dévotion. » (Journal de Dangeau, 2 décembre 1694.)
  3. 3. Voyez la lettre de Bussy du 20 juin 1687, tome VIII, p. 67.