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1694 Je suis ravi que ma dernière lettre ait fait le voyage si heureusement, sans passer par Paris : c’est ce qui me donne courage de vous écrire encore celle-ci par la même route. Mon amour-propre m’a obligé de faire voir la vôtre à Mme de Louvois, qui en a été ravie, et qui a pris plaisir à la lire plus d’une fois ; car parmi toutes ses bonnes qualités elle a encore celle de goûter les bonnes choses, et en lisant de certaines lettres de leur donner tous les tons qui leur conviennent. Mais où prenez-vous, Madame la Marquise, que si l’on eût marié l’héritier de toutes ces possessions-ci[1] d’une certaine manière il pourroit les posséder encore ? hélas ! ne l’est-il pas ? n’aura-t-il pas des millions de sa femme ? Mais c’est qu’il s’est trop pressé de vendre, et il n’est pas à l’heure qu’il est à s’en repentir ; mais c’est qu’il étoit temps qu’Anne de Souvré parût sur cet horizon, et que cela étoit réglé de toute éternité. Il faut avouer aussi que les peuples de ces cantons sont heureux de ce changement ; car elle n’a d’application qu’à les soulager, et qu’à donner des marques de sa charité à ceux qui en ont le plus de besoin.

Mais qu’est-ce, Madame, qu’un bruit que Mme de Coulanges me mande qui s’est répandu dans Paris, et dont elle doit s’éclaircir avec vous, que votre mariage est rompu ? j’en serois d’autant plus surpris que vous m’en

  1. 4. François-Joseph de Clermont, comte de Tonnerre, colonel du régiment d’infanterie de Monsieur et premier gentilhomme de sa chambre, né en 1655, épousa en 1687 Marie de Hanyvel, fille d’Adrien de Hanyvel, comte de Mennevillette, marquis de Crèvecœur, secrétaire des commandements de Monsieur, le même peut-être qui était en 1669 receveur général du clergé, et qui fut, à ce qu’on suppose, empoisonné par Penautier. Il mourut le 30 octobre 1705. Saint-Simon, dans une addition au journal de Dangeau (tome X, p. 461), cite de lui des traits d’esprit ; mais il dit aussi : « Ce comte de Tonnerre, frère de l’évêque de Langres et neveu de l’évêque comte de Noyon, étoit si déshonoré sur le courage, qu’on l’auroit été d’avoir affaire à lui, quoi qu’il dît. »