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1389. — DE COULANGES À MADAME DE SÉVIGNÉ.

À Ancy-le-Franc, le 29e octobre.

Nous voici encore dans notre magnifique château. Mme de Louvois s’est trouvé un goût pour la royauté et pour la solitude, choses fort contraires qu`elle ne connoissoit point, en un mot le goût des grands seigneurs du bon vieux temps, qui se trouvoient fort bien chez eux, et dont l’ambition se trouvoit bornée à demeurer maîtres des grandes possessions que leurs pères leur avoient laissées ; ils alloient par respect visiter leur souverain ; mais leur cour faite et ce devoir rendu, ils n` étoient pas fâchés de se trouver souverains eux-mêmes, et de revenir représenter à leur tour. Mme de Louvois, contente, et avec raison trés—contente de son état, s’est donc si bien trouvée d’une liberté dont elle n’avoit jamais joui, et dont il est impossible qu`elle jouisse à Paris, ni même à Meudon, qu’insensiblement elle a attrapé la Toussaint, et que je la vois comme résolue de ne partir de son royaume que le 15e du mois prochain. Pour moi, je me suis rangé volontiers sous ses lois ; et plus je connois sa domination toute aimable et toute honnête, plus je suis content de vivre partout où il lui plaira. N’avouerez—vous pas après cela que mes secondes noces sont très-heureuses, et que vous n’avez jamais entendu parler d`un mari plus soumis que je le suis, ni d’un meilleur ménage que le nôtre ? Quand Mme Louvois est à Tonnerre, c`est le bruit, c`est le tumulte, ce sont tous les attributs de la royauté ; quand elle est ici, ce n`est point Mme de Grignan dans son château, exposée à un nombre infini de voisins, exposée aux hommages de tous les Provençaux ; mais c’est Mme de Sévigné dans ses Rochers, qui lit, qui se promène beaucoup, qui écrit à Paris, qui reçoit beaucoup de lettres, qui entreprend de son pied des promenades