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1694 je pars de ce pas pour Tonnerre et pour Ancy-le-Franc[1], et je m’abandonne avec soumission à mon étoile errante qui ne me guide point trop mal. Mme de Louvois, contre l’avis des sottes gens qui s’opposoient à son voyage, en lui disant qu’une femme aussi riche et aussi heureuse qu’elle ne doit jamais passer Meudon[2], a pris courage, et part sans écouter davantage tous les flatteurs de sa cour. Cependant si elle alloit tomber malade, jugez de l’embarras et des repentirs qui nous suffoqueroient ; mais il faut espérer que Dieu nous conservera tous en vie et en santé ; toujours est-il vrai qu’il n’y a point actuellement d’air plus détestable que celui de Paris, où tout le monde est malade et meurt. L’évangile du jour est la mort du maréchal d’Humières, qui mourut hier à Versailles ; [3]

  1. 2. Terre de la maison de Louvois, près de Tonnerre. Voyez l’Itinéraire de Paris à Lyon, de M. Joanne, p. 24 et 25. Le magnifique château d’Ancy-le-Franc, bâti pour les Clermont-Tonnerre, ne fut vendu à Louvois qu’en 1683.
  2. 3. Meudon appartenait encore à Mme de Louvois (voyez la lettre du 4 août 1694, p. 173 et 174). Elle le céda l’année suivante au Roi : voyez la lettre du 3 juin 1695.
  3. 4. Voyez ci-dessus, p. 181, note 8, et le Journal de Dangeau, au 31 août. Saint—Simon, qui consacre à cet endroit une longue note au maréchal d’Humières, dit entre autres choses : « C’étoit un homme aimable au dernier point, jusque dans ses colères, qui avoit toujours été du plus grand monde et du plus choisi, et qui avec beaucoup de valeur et d’aisance dans les manières, mais avec un esprit médiocre et des talents bornés pour la guerre, en avoit un infini pour la cour, dont il rassembloit chez lui tout l’illustre et l’agréable avec une grande magnificence, et avoit partout l’air du maître, et chez lui et ailleurs, sans en avoir le haut ni le rebutant, et d’autant mieux avec le Roi qu’il étoit le très-humble serviteur des ministres… C’étoit un homme de toutes sortes de plaisirs et de fêtes… Un courtisan de ce caractère ne pensa guère à sa fin ; c’est ce qu’il déplora comme le feu duc de Créquy, qui lui étoit en cela fort semblable, et qui s’écrioit amèrement qu’il n’avoit point d’échelle pour monter au ciel. Le maréchal d’Humières avoua humblement qu’il n’y avoit jamais pensé, et mourut dans le sein de la cour,