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1694 fut jamais ; j’y ai eu des entrées fort libres ; et je lui ai déclaré que quelques avances qu’on me fît de la part des autres princesses pour les fréquenter, je ne verrois jamais qu’elle. Enfin, ma chère gouvernante, je ne me suis point du tout encanaillé, et je ne serois point encore revenu, si je m’étois laissé aller aux pressantes instances qu’on m’a faites pour rester encore à Versailles ; mais il a bien fallu revenir aux ordres de Mme de Louvois, qui graisse ses bottes pour aller à Tonnerre et à Ancy-le-Franc[1], et qui ne veut point faire de voyages sans moi, en sorte que me voici. Elle dit qu’elle partira sans faute mercredi prochain, mais tant de gens lui disent qu’elle va trouver du mauvais air, et lui veulent ôter ce voyage de l’esprit, qu’hier au soir la tête lui en tournoit : si elle le fait donc, je m’en vais avec elle, et voilà notre commerce interrompu pour quelque temps ; si je ne le fais pas, je ne m’éloignerai point de Paris : ainsi je serai à portée de vous rendre toujours compte de mes faits et gestes.

La disgrâce de Mlle Chouin a fait une grande nouvelle à Versailles[2] : la princesse de Conti eut l’honnêteté d’as-

  1. 18. Voyez la note 2 de la lettre suivante, p. 188.
  2. 19. Voici quelle fut la cause de la disgrâce de Mlle Chouin. Jean-Baptiste de Clermont Chate, chevalier de Malte, cornette des chevau-légers, était le cadet de sa maison. Il parvint à s’insinuer dans les bonnes grâces de la princesse de Conti ; le Dauphin le voyant chez cette princesse, lui accorda de la bienveillance. Le chevalier de Clermont était parent du maréchal de Luxembourg, qui, se voyant assez mal dans l’esprit du Roi, s’éta1t rapproché de Monseigneur, et cherchait tous les moyens d’assurer son crédit dans le cas où le règne viendrait à changer. Clermont, sous l’influence du maréchal, parut rechercher la main de Mlle Chouin ; il n’en fut pas êconduit, et bientôt la liaison de ces deux personnes fut si intime, que la princesse de Conti fut l’objet de leurs plaisanteries. Les lettres qu’ils s’écrivaient furent interceptées et remises au Roi. Ce prince fit à sa fille de sévères réprimandes, et il la couvrit de confusion en l’obligeant de lire les lettres saisies, parmi lesquelles se trouvaient celles qu’elle avait écrites à Clermont, et dont ce dernier faisait à