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1694 core, que la paix faite, on les pressera tant, qu’on en ruinera beaucoup ; prenez donc bien toutes vos mesures, et consolez-vous d’une mésalliance, et par le doux repos de n’avoir plus de créanciers dans le séjour de beaux, grands et magnifiques châteaux qui ne doivent rien à personne, et par la satisfaction de donner quelquefois dans le superflu, qui me paroît le plus grand bonheur de la vie. Voilà, ma belle Madame, tout ce que j’ai à vous répondre. Vos lettres sont admirables, et c’ est un meurtre de n’en pouvoir faire aucune part au public ; mais comme il n’en profiteroit pas, je conviens avec vous du silence, ce seroient précisément des marguerites devant des pourceaux.[1]. Je n’ai pu cependant m’empêcher de discourir de tout cela avec la maréchale de Villeroi, qui a bon sens et bon esprit, qui aime tendrement tout ce qui s’appelle Grignan, qui vous estime et vous aime aussi, qui se sent obligée de l’attention que vous avez de lui faire faire des compliments, qui me prie à tout moment de vous les rendre au centuple, et sur de bons tons, et qui enfin est déchaînée comme vous contre le public, qui se déchaîne toujours sans savoir pourquoi. Elle approuve toutes vos raisons, elle vous loue sans fin et sans cesse, et vous conseille d’aller votre grand chemin. Aujourd’hui, comme vous dites fort bien, on parle d’une chose, et demain on n’en parle plus ; et quand vous présenterez au public une jolie marquise de Grignan, et qu’il sera persuadé que vous en avez beaucoup de bien, il ne vous fera pas plus votre procès qu’à tous les gens de la première qualité qui vous ont montré ce chemin, et qui ne croient

  1. 2. « On dit : jeter des marguerites devant les pourceaux…. en ce sens on fait allusion au mot latin margarita, qui signifie grosse perle. » (Dictionnaire de Furetière.) — Voyez l’Évangile de saint Mathieu, chapitre VII verset 6.