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1378. — DE COULANGES À MADAME DE SÉVIGNÉ.

À Paris, le 24e mai.

Il y aura demain justement quinze jours que vous partîtes d’ici ; il est donc temps, ma très-aimable gouvernante, de vous écrire à Grignan, et de vous assurer que vous y êtes la très-bienvenue. Nous avons eu de vos nouvelles de Moulins, et jusque-là le voyage avoit été heureux ; je souhaite qu’il ait continué de même, et qu’à l’heure présente, hors de toutes vos fatigues, vous jouissiez de la vue de tant de personnes que vous aimez, et de tous les charmes inséparables du château magnifique où vous êtes. Pour moi, je vous dirai que je partis pour Saint-Martin le même jour que vous partîtes d’ici ; et comme vous n’êtes point ennemie des détails, je vous rendrai compte de tout ce que j’ai fait depuis ce temps-là. Je fus à Saint-Martin jusques au samedi, je ne vous dirai pas en toute joie et en toute liesse ; car jamais je ne fus plus triste ni plus abattu, sans savoir pourquoi, ni de plus mauvaise compagnie. Saint-Martin, aussi bien que le cardinal, sont toujours pour moi d’un agrément sans pareil ; mais enfin cette épaule, ce bras gauche et cette main, qui ne sont point sans douleurs et qui me chicanent toujours, m’ont jeté dans une pesanteur et dans un abattement dont je ne reviens point : c’est ce qui me fait résoudre de songer absolument à ma santé ; et pour cela depuis huit jours je me suis abandonné à la saignée et à beaucoup de médecines réitérées, dont je ne sens point encore tout l’effet que j’en attends ; mais il faut espérer que m’étant mis dans mon devoir, ma bonne nature s’y remettra aussi. Voilà donc où j’en suis, mon adorable gouvernante. J’ai été fort visité pendant tous mes remèdes, et je ne saurois trop courir, quand je me porterai bien, pour aller remercier tous les gens qui s’intéressent