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1694 peu passé. J’ai perdu mes deux premières amies, Mme de la Fayette et Mme de Lavardin[1] ; j’en laisse encore ici que j’aime et que j’estime ; mais comme ce n’est pas à ce degré, et qu’elles en ont d’autres que moi, je les quitte avec un regret supportable. Pour le chevalier de Grignan, il est sur le point de manger du pain de feuilles et de fougères, n’ayant au monde qu’une pension de menin, qu’on ne lui paye plus : son parti n’est pas difficile à prendre. Nous faisons donc venir deux litières de Lyon, et avec des gens à cheval, et sa chaise roulante, nous partons le 8e de mai[2] ; et voilà, ma chère Madame, une trop bonne raison pour n’aller point à Époisse. Si je ne meurs point bientôt, il me semble pourtant que la Providence veut que j’y fasse un voyage dans son temps, et que j’aime et admire de près cette Mme de Guitaut dont le mérite, et l’esprit, et les manières sont faites pour me toucher et pour me plaire, sans préjudice de ce qu’elles font ailleurs ; mais je réponds pour moi, et voilà comme je pense. Je laisse donc à une autre le soin de cultiver votre amitié avec l’abbé Têtu. Le pauvre homme est tout à fait à plaindre :

    qu’un faible et tardif remède à la disette, qui engendra de cruelles épidémies, suite ordinaire de l’épuisement populaire. On prétend (sans doute le chiffre est exagéré) qu’il mourut cette année à Paris quatre-vingt-seize mille personnes. » Histoire de France, tome XIV, p. 190.

  1. 2. Dangeau annonce ainsi la mort de Mme de Lavardin, dans son Journal, à la date du 12 mai 1694 : « La vieille Mme de Lavardin est morte ; elle étoit tombée en enfance il y a déjà quelque temps ; elle étoit de la maison de Rostaing. Il y a huit jours que dans sa famille ils savoient sa mort ; mais ils ne l’ont point voulu dire que le mariage de Mlle de Lavardin ne fût fait. » Il n’est pas probable cependant que cette mort ait été antérieure à la date de notre lettre : il y avait trois ans déjà que Mme de Sévigné avait perdu Mme de Lavardin et avant Mme de la Fayette : voyez plus haut, p. 15 et 16.
  2. 3. Le jour fut changé : Mme de Sévigné ne partit que le 11. Voyez ci-après, p. 169, le commencement de la lettre du 20 juillet, et p. 156, le commencement de celle du 24 mai.