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1693 que de[1] visites de consolation à faire, et que ce combat[2], qui fut dit d’abord comme un avantage qui nous avoit coûté trop cher, est devenu enfin une grande victoire ! Nous avons tant de canon, tant de timballes, tant de drapeaux, tant d’étendards, tant de prisonniers, que jamais aucune bataille rangée ni gagnée, depuis cinquante ans, n’a fait voir tant de marques de victoire. L’armée du prince d’Orange n’est plus en corps, elle est par pelotons en divers endroits, et M. de Luxembourg peut, s’il veut, marcher vers Bruxelles sans que personne l’en empêche. Enfin, Madame, tout est en mouvement ; nous tremblons pour le marquis de Grignan, qui est en Allemagne, où l’on ne doute pas que Monseigneur ne veuille[3] donner une grande bataille. Gardez bien vos deux petits garçons tant que vous pourrez ; car quand ils seront à la chair[4], vous ne les pourrez non plus retenir que de petits lions. Vous vous souviendrez en ce temps-là pourtant que la balle a sa commission, qu’il n’y en a pas une qui ne soit poussée par l’ordre de la Providence, et que les plus braves et les plus exposés meurent dans leur lit quand il plait à Dieu.

Parlons de votre tête : comment se porte-t-elle ? L’état où vous me la représentez me fait craindre de vous embarrasser de mes misérables affaires ; cependant, ma chère Madame, il faut que vous ayez pitié de moi, et que

  1. Lettre 1361 (revue sur l’autographe) — 1. Mme de Sévigné a écrit, par inadvertance, que que, pour que de.
  2. 2. La bataille de Nerwinde en Brabant, gagnée le 29 juillet par le maréchal de Luxembourg sur le prince d’Orange et l’électeur de Bavière. Voyez la relation de cette victoire dans un numéro extraordinaire de la Gazette (du 12 août).
  3. 3. Le mot est écrit veule dans l’original ; d’autres fois Mme de Sévigné a écrit veille.
  4. 4. « En termes de fauconnerie, dit M. Littré, l’oiseau est bien à la chair lorsqu’il chasse bien. »