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1693 goût étoit toujours vif et nouveau ; je lui rendois beaucoup de soins, par le mouvement de mon cœur, sans que la bienséance où l’amitié nous engage y eùt[1]aucune part’ ; j’étois assurée aussi que je faisois sa plus tendre consolation, et depuis quarante ans c’étoit la même chose : cette date est violente, mais elle fonde bien aussi la vérité de notre liaison. Ses infirmités depuis deux ans étoient devenues extrêmes ; je la défendois toujours, car on disoit qu’elle étoit folle de ne vouloir point sortir ; elle avoit une tristesse mortelle : quelle folie encore ! n’est-elle pas la plus heureuse femme du monde ? Elle en convenoit aussi ; mais je disois à ces personnes, si précipitées dans leurs jugements : « Mme de la Fayette n’est pas folle, » et je m’en tenois là. Hélas ! Madame, la pauvre femme n’est présentement que trop justifiée : il a fallu qu’elle soit morte pour faire voir qu’elle avoit raison et de ne point sortir et d’être triste. Elle avoit un rein tout consommé et une pierre dedans, et l’autre pullulant[2] : on ne sort guère en cet état. Elle avoit deux polypes dans le cœur, et la pointe du cœur flétrie : n’étoit-ce pas assez pour avoir ces désolations dont elle se plaignoit ? Elle avoit les boyaux durs et pleins de vents, comme un ballon, et une colique dont elle se plaignoit toujours. Voilà l’état de cette pauvre femme, qui disoit : « On trouvera un jour…  » tout ce qu’on a trouvé. Ainsi, Madame, elle a eu raison pendant sa vie, elle a eu raison après sa mort, et jamais elle n’a été sans cette divine raison, qui étoit sa qualité principale. Sa mort a été causée par le plus gros de ces corps étrangers qu’elle,

  1. 2. Cet endroit a été ainsi défiguré dans des éditions antérieures à la nôtre : « » sans que la bienséance, ou l’amitié qui nous engage, y eût, etc. Trois lignes plus bas on avait changé violente en récente.
  2. 3. Il y a bien pullulant dans l’autographe, sans doute pour purulent ; à la ligne suivante, on lit : polibes, pour polypes.