Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 1.djvu/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
25
SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


qui en ce temps-là était, avec l’italien, la langue à la mode parmi les femmes d’un esprit cultivé ; et elle lui dut une connaissance du latin suffisante pour que plus tard elle pût, comme nous le voyons dans une de ses lettres[1], lire Virgile dans toute la majesté du texte. Personne n’a jamais pu croire que madame de Sévigné ait été l’œuvre de Ménage et de Chapelain : c’eût été, comme quelqu’un le dit fort bien à l’un d’eux, le plus bel ouvrage qui fût sorti de leurs mains ; laissons-leur cependant leur petite part dans une éducation littéraire qu’ils ont au moins eu la gloire de commencer. Ils purent orner d’utiles connaissances l’esprit de leur jeune élève, et ce charmant esprit était du reste à l’épreuve des pédants.

Ce ne put être à dix ans, au moment où Marie de Chantal passa sous la tutelle de l’abbé de Coulanges, que de si savants maîtres lui donnèrent leurs leçons ; mais il faut penser que ce fut un peu plus tard, au temps de son adolescence. Il y a quelques années de son enfance sur lesquelles nous ne savons rien, si ce n’est qu’elles s’écoulèrent sans doute en grande partie sous les frais ombrages et au milieu des chèvrefeuilles de l’abbaye de Livry, dont les jolis jardins se trouvaient au milieu de la forêt de Bondy. Jusqu’à son mariage, ses biographes ont bien peu de faits à noter. Deux billets d’elle, non datés, paraissent à MM. Monmerqué et Walckenaer avoir été écrits un peu avant qu’elle fût mariée. Ce n’est toutefois qu’une conjecture, qui peut laisser place à quelque doute[2]. Ces billets sont adressés l’un et l’autre à Ménage[3]. Le style en est déjà très agréable, très vif, avec toute l’aisance et toute l’assurance d’une femme du monde et cette liberté qu’une jeune personne d’un rang très supérieur peut prendre sans inconvenance et sans danger en écrivant à un soupirant dont la passion ne saurait être prise au sérieux. Il y est question d’une petite brouille qui paraît

  1. Lettre à madame de Grignan, du 16 juillet 1672.
  2. Aurait-elle, avant son mariage, pu écrire : « Si vous ne venez pas ici, peut-être ne me fermerez-vous pas votre porte ? » ce qui ressemble beaucoup au mot rapporté par Bussy dans l’anecdote sur Ménage que nous citons un peu plus loin.
  3. Ils sont, dans la présente édition, suivis d’un troisième billet à Ménage, dont l’autographe est au Musée britannique, et dont il serait également difficile de fixer la date.