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NOTICE BIOGRAPHIQUE

L’abbé de Coulanges d’ailleurs, quoique apparemment peu capable de former par lui-même le talent de sa pupille, mit du moins beaucoup de soin à choisir pour son instruction des hommes savants et lettrés : Chapelain qui n’avait pas encore passé par les verges de Boileau et n’avait pas alors publié la Pucelle, Ménage qui n’était pas encore Vadius. Leurs noms plus tard ont été ridicules ; tous deux cependant étaient loin d’être sans mérite. Ils ont porté la peine d’une réputation plutôt exagérée qu’injuste, et payé les frais d’une heureuse révolution dans le goût qui les a surpris au milieu de leurs succès. Chapelain, non comme poète, mais comme critique, avait du jugement. Il pouvait posséder quelques-unes des qualités qui font le maître, cette pierre à aiguiser, qui elle-même, dit Horace, ne sait pas couper. Ménage, en même temps qu’il se piquait d’être un bel esprit, avait une très riche érudition dans les langues anciennes et modernes. Lui et Chapelain étaient surtout fort capables de donner à mademoiselle de Chantal d’excellentes leçons d’italien ; aussi disait-elle qu’elle « l’avait très bien appris, grâce aux bons maîtres qu’elle avait eus[1]. »

Les poètes de l’Italie ont toujours été au nombre de ses lectures favorites ; et le billet qu’elle s’est amusée à écrire en italien à la marquise d’Uxelles montre qu’elle savait écrire avec pureté dans cette langue[2]. Ménage lui enseigna aussi l’espagnol,

  1. Lettre à madame de Grignan, du 21 juin 1671.
  2. La connaissance qu’avait madame de Sévigné de la langue et de la littérature italienne n’est pas douteuse. Nous n’avons pas cru devoir en chercher une preuve dans l’anecdote du madrigal de M. de Raincy, très agréablement racontée par M. Cousin (la Société française au dix-septième siècle, tome II, p. 198-204). Ménage avait traduit ce madrigal en vers italiens, qu’il attribuait au Tasse, faisant ainsi passer M. de Raincy pour plagiaire. Plusieurs personnes habiles, entre autres Chapelain, Costar et madame de la Fayette, se laissèrent prendre à cette supercherie, et préférèrent le prétendu madrigal du Tasse à un madrigal de Guarini, dont l’idée était à peu près semblable. Madame de Sévigné (voir sa lettre à Ménage, du 12 septembre 1656) ne tomba pas dans le piège. Mais comme dans Guarini c’est la pensée qui lui plut davantage, « sans qu’elle puisse quasi dire pourquoi, » elle semble plutôt avoir été avertie par un heureux instinct de son bon goût que par sa connaissance particulière de l’italien, Elle dit, dans cette même lettre, avec trop de modestie sans doute, « qu’elle n’est qu’une écolière qui n’entend rien à la beauté des vers italiens. »