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1667

72. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Aussitôt que j’eus reçu cette lettre, j’y fis cette réponse.
À Bussy, ce 23e mai 1667.

Pour vous parler franchement, Madame, j’étois un peu surpris de ne recevoir aucune réponse à la lettre que je vous écrivis il y a plus de six mois, parce que je ne croyois pas qu’il vous fallut deux de mes lettres pour m’en attirer une des vôtres ; mais après les raisons que vous me mandez, je suis content.

On m’écrivit que vous étiez à Paris, aussitôt que vous y fûtes arrivée. Pour moi, je n’irai point cette campagne ; je la vais passer dans mes châteaux, à les embellir et à augmenter mon revenu, que ceux qui se mêloient de mes affaires avoient fort diminué, par les belles mains[1] qu’ils prenoient de mes fermiers. Quoique je n’aie jamais fait jusques ici le métier d’un homme qui fait valoir son bien lui-même, je ne m’en acquitte pas trop mal, et je ne le crois pas si pénible que je me l’étois figuré : je pense que le profit en ôte les épines.

Pour la guerre où vous me souhaitez, je ne suis pas de même sentiment que vous. Je vous rends pourtant mille grâces, ma chère cousine, de la part que vous prenez à ma méchante fortune ; mais je vous en veux consoler, en vous disant les raisons que j’ai d’avoir là-dessus l’esprit en repos. Il faut donc que vous sachiez que, lorsque je fus arrêté[2], j’étois tellement fatigué des injustices qu’on me faisoit depuis huit ou dix ans, que

  1. Lettre 72. — i. C’est la buona mano des Italiens. Nous dirions aujourd’hui les pots de vin.
  2. Bussy fut arrêté le 17 avril 1665, et mis à la Bastille, où il resta treize mois. Voyez la Notice, p. 81.