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arrangé, je n’en suis pourtant pas effrayée, et je sens ma conscience si nette de ce que vous me dites, que je ne perds pas espérance de vous faire connoître sa pureté. C’est pourtant une chose impossible, si vous ne m’accordez une visite d’une demi-heure ; et je ne comprends pas par quel motif vous me la refusez si opiniâtrement. Je vous conjure encore une fois de venir ici, et puisque vous ne voulez pas que ce soit aujourd’hui, je vous supplie que ce soit demain. Si vous n’y venez pas, peut-être ne me fermerez-vous pas votre porte, et je vous poursuivrai de si près que vous serez contraint d’avouer que vous avez un peu de tort. Vous me voulez cependant faire passer pour ridicule, en me disant que vous n’êtes brouillé avec moi qu’à cause que vous êtes fâché de mon départ. Si cela étoit ainsi, je mériterois les Petites-Maisons et non pas votre haine ; mais il y a toute différence, et j’ai seulement peine à comprendre que, quand on aime une personne et qu’on la regrette, il faille, à cause de cela, lui faire froid au dernier point, les dernières fois que l’on la voit. Cela est une façon d’agir tout extraordinaire[1], et comme je n’y étois pas accoutumée, vous devez excuser ma surprise. Cependant je vous conjure de croire qu’il n’y a pas un de ces anciens et nouveaux amis dont vous me parlez, que j’estime ni que j’aime tant que vous. C’est pourquoi, devant que de vous perdre, donnez-moi la consolation de vous mettre dans votre tort, et de dire que c’est vous qui ne m’aimez plus.

Chantal.

  1. Mme de Sévigné écrit toute extraordinaire. Sur cet accord, au sujet duquel les opinions et l’usage variaient encore à la fin du dix-septième siècle, comme nous l’apprend le Dictionnaire de l’Académie de 1694, voyez, dans notre dernier volume, le Lexique, au mot Tout.