ce fût la juste et providentielle punition d’une famille dont la
pensée avait toujours été de sacrifier à l’héritier du nom le
bonheur des autres enfants ? Madame de Sévigné était d’avis
de faire céder la fierté à la prudente raison, « À moins, disait-elle, que par un miracle, il ne se fît un prodige qui changeât les pierres en pain, je ne crois pas qu’il y ait à balancer
entre ce qui soutient votre fils et votre maison, ou ce qui
achèvera de vous accabler. » La pilule, quoique dorée de bon
or, n’en était pas moins fâcheuse à avaler. Pour les glorieux
Adhémar, le qu’en-dira-t-on était terrible. Le bruit du mariage s’était répandu dans le monde, qui n’en parlait pas avec
indulgence. Le petit Coulanges conseillait de ne pas se soucier
de tous ces discours, et il appuyait son conseil de raisons où
il y avait certainement du bon sens, mais dont la délicatesse
n’était pas très-raffinée. Si, pour l’instruction des riches vilains
qui s’allient à des familles nobles, Molière eût fait donner des
avis aux de Sotenville par un de leurs amis avant le mariage
de leur fille, il n’aurait pu lui-même rien trouver de mieux ;
« Faites, faites votre mariage, disait Coulanges ; vous avez raison, et le public a tort et très-grand tort... Voulez-vous
mettre le public dans son tort ? faites-vous donner une si
bonne et grosse somme en argent comptant que vous vous mettiez à votre aise. Un gros mariage justifiera votre procédé.
Tirez, comme je vous le dis, le plus d’argent comptant que
vous pourrez ; car voilà la précaution qu’il faut prendre en
pareil cas... Prenez donc bien toutes vos mesures, et consolez-vous d’une mésalliance, et par le doux repos de n’avoir plus de
créanciers, et par la satisfaction de donner quelquefois dans le
superflu, qui me paroît le plus grand bonheur de la vie...
Aujourd’hui, comme vous dites fort bien, on parle d’une chose,
et demain on n’en parle plus ; et quand vous présenterez au
public une jolie marquise de Grignan, et qu’il sera persuadé
que vous en avez beaucoup de bien, il ne vous fera pas plus
votre procès qu’à tous les gens de la première qualité qui
vous ont montré ce chemin, et qui ne croient pas à l’heure
qu’il est en avoir la jambe moins bien tournée[1]. »
- ↑ Lettre à madame de Grignan, 28 juin 1694.