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NOTICE BIOGRAPHIQUE


pas nécessaire. Il paraît que madame de Grignan avait écrit à sa mère qu’avec les douze mille francs accordés par le roi, on aurait bien pu passer l’hiver ensemble. C’était certainement une offre de bonne amitié ; mais madame de Sévigné sentait trop bien que sa fille ne serait pas embarrassée pour manger toute seule la gratification royale. Elle se trouvait dans la nécessité de lui faire sur ses dépenses de Paris les mêmes représentations que sur celles de Grignan ; car c’étaient toujours les mêmes habitudes d’une vie somptueuse. « Quelle folie, ma bonne, d’avoir quatre personnes à la cuisine ! Où va-t-on avec de telles dépenses, et à quoi servent tant de gens ? Est-ce une table que la vôtre pour en occuper seulement deux ? L’air de Lachan[1] et sa perruque vous coûtent bien cher. Je suis fort mal contente de ce désordre ; ne sauriez-vous en être la maîtresse ? Tout est cher à Paris, et trois valets de chambre ! Tout est double et triple chez vous[2]. » Voilà, dira-t-on, des détails de ménage qui sentent beaucoup le vieux Coulanges. Peut-être bien ; mais cette gronderie maternelle, comme l’appelait madame de Sévigné, n’était-elle pas juste, lorsqu’elle donnait elle-même l’exemple de si grands sacrifices ? et le contraste des deux conduites peut-il être plus frappant ?

Lorsque madame de Sévigné revit madame de Grignan, il y avait une année entière qu’elle l’avait quittée. Elle était partie pour la Bretagne le 12 septembre 1684, et elle arriva, entre le 10 et le 15 septembre 1685, à Bâville, chez l’avocat général Lamoignon, où elle trouva sa fille et tous les Grignan. Elle y passa quelques jours, tout entière à la joie de revoir cette fille chérie, qui, avant ce retour de Bretagne, avait été sur le point de partir pour la Provence, mais qu’elle avait alors l’espoir de garder encore quelque temps auprès d’elle. Dans cette campagne de Bâville qu’ont immortalisée le souvenir des Racine et des Boileau, et l’hospitalité qu’elle donna si souvent aux plus grands génies et aux plus beaux esprits de ce temps, madame de Sévigné jouit de la compagnie de

  1. Ce Lachan évidemment un des gens de madame de Grignan, n’est-il pas le même que le la Chau de la lettre du 26 février 1690 ?
  2. Lettre du 25 février 1685.