demandent à ceux qui ont un peu d’honneur et de conscience
de ne pas pousser les choses à l’extrémité. Voilà le fond et la
pure vérité, et voilà ce qui a fait marcher le bien bon qui est en
vérité fort fatigué d’un si long voyage. » Ne semblerait-il pas
qu’obligée de s’éloigner d’un de ses enfants pour aller trouver
l’autre, elle craignît la jalousie de sa fille ? Si elle eut à la craindre en effet, un tel sentiment, quoiqu’il fût peu juste, doit être
compté à madame de Grignan comme une preuve d’affection
pour sa mère, et vaut encore mieux que l’indifférence. Ajoutons, pour ne pas manquer d’équité envers elle, que dans les
lettres écrites après cette séparation de 1684, il n’y a point de
traces des chagrins que sa philosophie et sa froideur causaient
si souvent, dans des circonstances semblables, à madame de Sévigné. Sa mère l’y remercie au contraire de la tendresse, de la
douleur, dont elle avait donné d’éclatantes marques en lui disant
adieu, et des larmes qu’elle avait répandues. Elle revient plusieurs, fois sur ce sujet de satisfaction, et se répand en vives expressions d’une reconnaissance très-encourageante : « Ah ! ma
bonne, que mon cœur est pénétré de votre amitié !... Jamais
on n’a été aimée si parfaitement d’une fille bien-aimée que je
le suis de vous. Ah ! quels trésors infinis m’avez-vous quelquefois cachés ! Je vous assure pourtant, ma chère bonne, que je
n’ai jamais douté du fond, mais vous me comblez présentement
de toutes ces richesses[1]... Il ne tient pas à moi qu’on ne sache
l’amitié tendre et solide que vous avez pour moi... Si madame
de Montchevreuil a cru que ma douleur surpassoit la vôtre,
c’est qu’ordinairement on n’aime point sa mère comme vous
m’aimez[2]. »
Madame de Sévigné était plus habituée à faire des reproches qu’à en recevoir, et ce n’était pas elle d’ordinaire qui imaginait la nécessité des séparations. Cette fois, et elle se complaisait dans ce renversement des rôles, c’était à elle à s’excuser. Chacune de ses lettres était une explication, une apologie. Elle semblait toute honteuse de passer l’hiver loin de sa fille, et recommençait sans cesse à déduire les raisons qui l’y avaient forcée : « Qu’il me seroit aisé de vous les dire, écrivait-elle : les