c’était à peu près tout[1]. On pourrait croire que, par cette froideur, elle se mettait en garde contre une affection pour cette nouvelle fille, qui lui eût semblé une infidélité faite à madame de
Grignan. Cependant des qualités solides ne peuvent longtemps
être méconnues. Madame de Sévigné, en vivant tous les jours
avec sa belle-fille aux Rochers, la trouva bientôt « toute pleine
de raison ; » elle lui sut gré de n’avoir pas l’esprit fichu ni de
travers[2]. Elle ne tarda sans doute pas à penser encore plus de
bien d’elle et à être touchée de son affection. Un fils qui aime
tendrement sa mère, sait d’ordinaire communiquer à sa femme,
lorsqu’il l’aime aussi et qu’il en est aimé, quelque chose de sa
piété filiale. Dans une lettre de 1689, madame de Sévigné se
loue en même temps de son fils, toujours aimable, dit-elle,
toujours heureux d’être auprès d’elle, et de sa belle-fille, qu’elle
trouve « fort vive, fort jolie, » et qui paraissait l’aimer beaucoup[3]. On a de courts billets de la jeune marquise de Sévigné
à madame de Grignan, écrits très-simplement, sans aucune recherche d’esprit. Il y en a un où elle dit à sa belle-sœur qu’elle
aime madame de Sévigné de tout son cœur, et qu’elle prend
d’elle un soin « qui la ferait jalouse[4]. » Sévigné, après avoir
cherché, sans amour, mille liaisons, souvent mal choisies, et
dont il s’était toujours très-vite dégoûté, avait trouvé, lorsqu’enfin il songea à régler sa vie, une femme bonne et estimable, qui entra dans tous ses sentiments, partagea son ardeur de dévotion, l’excita peut-être, et, quand il fut retiré
du monde, s’associa pleinement à ses goûts d’anachorète.
Le mariage de Charles de Sévigné fut certainement un des principaux motifs du voyage que madame de Sévigné fit en Bretagne l’année même de ce mariage, en 1684. Quoique depuis quatre ans sa fille ne l’eût pas quittée, elle jouissait toujours de sa présence comme d’un bien précaire, et il fallait des raisons bien puissantes pour la décider à aller vivre loin d’elle, lorsque les jours de grâce pendant lesquels elle devait la garder encore étaient peut-être déjà comptés. Elle-même, cinq ans après, résumait ainsi ces raisons : « la bienséance , la poli-