pitié, qu’il ne faut pas cacher. Les lettres de sa fille venaient,
pendant ce séjour de madame de Sévigné en Bretagne, occuper son esprit de l’aînée des demoiselles de Grignan, et lui présenter, comme une tentation, l’espérance de l’entrée en religion
de cette fille de son gendre et d’Angélique d’Angennes. Pour
Marie-Blanche et pour Pauline, ces enfants de son sang, madame
de Sévigné avait combattu de son mieux, quoique avec trop de
ménagements peut-être pour leur mère. Elle ne se sentit pas
le même courage pour protéger les filles d’une étrangère. Il
semble toutefois qu’elle les avait traitées avec beaucoup d’amitié, lorsque, dans les années 1678 et 1679, elle les avait gardées près d’elle à l’hôtel de Carnavalet et à Livry. Depuis, les
demoiselles de Grignan avaient suivi leur père en Provence.
Là, comme madame de Grignan en informait sa mère, l’aînée,
Louise-Catherine, déclara, en 1680, son intention de se retirer
dans un couvent. Madame de Sévigné, en apprenant cette nouvelle, chercha, de bonne foi sans nul doute, à s’attendrir sur
une si sainte vocation. Elle témoigna son admiration très-vive pour « cette créature choisie et distinguée, pour ce vase d’élection[1]. » Cependant il y a dans la lettre même où elle exprime
cette première impression, des paroles qui laissent entrevoir
certains soupçons et quelque ironie peut-être : « Pourriez-vous
douter de mon estime pour une si belle action, parce que je crois
qu’elle vient de Dieu ? » — « Ne viendrait-elle pas d’ailleurs ? »
Telle était la question que madame de Sévigné avait bien l’air
de poser à la conscience de madame de Grignan. Quelques jours
après, tout devenait plus clair. Madame de Sévigné écrivait :
« Vos prophéties sont bonnes ; je ne savois où vous preniez de
si grandes assurances. Vous voilà donc décidée (à venir à Paris
cet hiver), ma chère fille, par la plus grande affaire et la plus
avantageuse qui pût arriver à votre maison : c’est un coup de
partie[2]. » Les prophètes infaillibles sont souvent ceux qui travaillent eux-mêmes à l’accomplissement de leur prédiction. Il est
évident que madame de Sévigné était de cet avis. Étant si bien
éclairée sur ce point, elle n’aurait pas, si sa complaisance pour
sa fille n’eût été vraiment excessive, témoigné que son impa-
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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.