que madame de Grignan était en proie, sinon de continuels accès
d’impatience et de mauvaise humeur ? Tout le monde, autour
de madame de Sévigné et de madame de Grignan, était frappé
de la nécessité de faire promptement finir, pour l’une et pour
l’autre, un pareil supplice ; tout le monde leur disait : « Vous
vous faites mourir toutes deux, il faut vous séparer. » Madame de Sévigné s’indignait, pour sa part, des reproches
qu’on lui faisait, et de l’étrange remède que ses amis avaient
imaginé ; elle ne pouvait, sans perdre patience, entendre que
c’était elle qui tuait sa fille, qu’elle était la cause de tous ses
maux. « Ainsi, pour nous bien porter, il faut que nous soyons à
deux cent mille lieues l’une de l’autre ! et l’on me dit cela avec
un air tranquille ! voilà justement ce qui m’échauffe le sang, et
me fait sauter aux nues. » Madame de Grignan avouait plus
volontiers que s’éloigner avait été le meilleur moyen de rendre
le calme à sa mère. Elle lui écrivait ces paroles, que celle-ci
trouvait assommantes : « Vous ne sauriez plus rien faire de
mal, car vous ne m’avez plus ; j’étois le désordre de votre
esprit, de votre santé, de votre maison ; je ne vaux rien du tout
pour vous. »
Les lettres écrites par madame de Sévigné à sa fille après cette nouvelle séparation, peuvent donner quelque idée des obsessions de sa tendresse, et de l’effet que devait produire sur une personne dont le cœur était moins aimant, ce regard inquiet qui ne la quittait pas, cette oreille toujours tendue pour l’écouter respirer. Elle lui recommande « de bien mettre sa petite poitrine dans du coton, » elle la gronde des longues lettres qu’elle écrit ; elle lui reproche de ne faire aucun remède ; il lui semble qu’elle se tue à plaisir. Ce qui est plaisant, c’est que, de son côté, madame de Grignan veut interdire aussi à sa mère les longues écritures : elle la paye de la même monnaie ; on comprend parfaitement qu’étant en présence elles fussent assez gênantes l’une pour l’autre. Sévigné, dans une lettre à sa sœur, leur donnait en termes plaisants une bonne leçon à toutes deux, qu’elles auraient beaucoup gagné à suivre : « Nous nous gardons mutuellement, nous nous donnons une honnête liberté ; point de petits remèdes de femmelettes. Vous vous portez bien, ma chère maman, j’en suis ravi... Dieu soit loué ; allez prendre l’air..., je vous mets la bride sur le cou.