sait, et de lui dire : « Vous n’avez point caché votre amitié,
comme vous le pensez. » Mais nous n’avons peut-être pas le
droit de mettre nos doutes à la place du témoignage qu’elle
rend « aux douceurs, aux caresses, aux soins, aux tendresses,
aux complaisances » de sa fille[1]. Bornons-nous donc à constater qu’outre ses vives inquiétudes sur la santé encore mal rétablie de madame de Sévigné, madame de Grignan était accablée
par la sollicitude dont elle-même était de son côté l’objet. Le
climat de la Provence peut-être, probablement aussi, comme
Bussy le pensait, six couches en neuf ans, l’avaient épuisée. Sa
mère l’avait trouvée méconnaissable ; ce n’était plus la belle
Madelonne, avec sa fraîcheur et son embonpoint ; elle était
maigre, son visage était fatigué, sa voix était faible. Madame de
Sévigné n’avait su ni cacher assez son chagrin et ses tourments,
ni renfermer ses soins dans ces sages limites où ils n’alarment
ni n’importunent ceux qui souffrent. Dans cette atmosphère
d’inquiétudes et de soins étouffants, madame de Grignan était
de plus en plus oppressée ; elle sentait que la vue de ses souffrances dévorait la santé de sa mère, et, parce qu’elle le sentait,
ses souffrances s’aggravaient. Une extrême irritation s’en était
suivie ; c’étaient des deux côtés des contre-coups sans fin. Elles
perdaient la tête l’une et l’autre. Voici quel tableau madame de
Sévigné traçait de la triste vie qu’elles avaient menée : « C’étoit
un crime pour moi que d’être en peine de votre santé : je vous
voyois périr devant mes yeux, et il ne m’étoit pas permis de
répandre une larme ; c’étoit vous tuer, c’étoit vous assassiner ;
il falloit étouffer ; je n’ai jamais vu une sorte de martyre plus
cruel, ni plus nouveau... Ah ! ma fille, nous étions d’une
manière sur la fin, qu’il falloit faire comme nous avons fait[2]. »
Dissimuler la gravité de son mal est souvent générosité ; mais
il y avait dans l’opiniâtreté avec laquelle madame de Grignan
résistait aux inquiétudes de sa mère, une contrainte, un parti
pris de fermer son cœur, qui blessait une affection avide de
confiance. Il paraît bien que madame de Sévigné n’avait pas
seulement à reprocher à sa fille « d’écraser tous leurs sentiments. » Que peuvent être ces noirs et cruels dragons, « ces
étranges et dévorantes bêtes, » auxquelles elle nous apprend
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NOTICE BIOGRAPHIQUE