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NOTICE BIOGRAPHIQUE


d’une vie irréprochable, qui ne trouve que matière à plaisanterie dans les désordres de son fils, et s’amuse beaucoup de lui voir encore six maîtresses après le départ de madame du Gué Bagnols. Nous aimons mieux Sévigné, quand il divertit autrement sa mère, et lui tient si bonne compagnie a Livry par ses conversations enjouées et par ses lectures de Don Quichotte, de Lucien et des petites lettres [1].

Il fallut cependant s’arracher et aux bons et aux mauvais plaisirs. On venait de recevoir la nouvelle que le prince d’Orange avait investi Charleroy le 6 août 1677. Le maréchal de Luxembourg ne disposait pas de forces suffisantes pour faire lever le siège. On se hâta de lui envoyer des renforts. « Tous les jeunes gens y courent, écrivait madame de Sévigné, et même les boiteux [2]. » Le sous-lieutenant des gendarmes-Dauphin comprit que l’excuse du talon ne sauverait pas sa réputation. Quoique réellement souffrant, il partit en chaise le 11 août. Avant qu’il arrivât, le siège était levé.

Un nouveau séjour que madame de Grignan fit à Paris nous cache-t-il encore un retour de Sévigné près de sa mère pendant l’hiver de 1677-1678 ? On voit seulement, par une lettre de madame de Sévigné à Bussy, datée du 27 juin de cette dernière année, que le baron était alors à l’armée. Sa mère écrivait : « Mon fils est encore à l’armée, car ce n’est plus à la guerre, Dieu merci ! » Elle le croyait en effet ainsi, parce qu’alors une trêve avait été convenue jusqu’au 12 août, et que la signature de la paix de Nimègue, à laquelle les états généraux consentaient, était regardée comme assurée. Mais pendant que madame de Sévigné jouissait de sa sécurité, son fils se trouvait encore à une très-chaude journée et y montrait le même courage qu’à Senef et à Aire. La paix était signée depuis quatre jours, lorsque le prince d’Orange, le 14 août 1678, ignorant encore ou feignant d’ignorer cette paix, fondit sur le quartier de Luxembourg au village de Saint-Denis, près de Mons, pendant que le maréchal, qui connaissait la signature du traité, dînait tranquillement chez l’intendant de l’armée. L’action fut extrêmement sanglante, et le carnage, qui ne pouvait être

  1. Lettre à madame de Grignan, 23 juillet 1677.
  2. Lettre à madame de Grignan, 10 août 1677.