avait beau trouver le style de la Calprenède maudit, elle se
laissait prendre à ses romans, dit-elle, comme à de la glu :
« La beauté des sentiments (elle disait ailleurs qu’ils étaient
d’une perfection qui remplissait son idée sur la belle âme), la
violence des passions, la grandeur des événements et le succès
miraculeux de leurs redoutables épées, tout cela m’entraîne
comme une petite fille[1]. » La Fontaine, qui avait la même
naïveté d’imagination et de sentiment, n’a-t-il pas dit :
- Si Peau d’âne m’étoit conté,
- J ’y prendrois un plaisir extrême?
La Rochefoucauld avait donc raison de la rassurer sur sa
honte, et de faire contre-poids au rigorisme de madame de
Grignan, dont l’image sévère aperçue de loin sur les hauteurs
philosophiques faisait tomber le livre des mains de sa mère.
Cependant, même devant une si imposante autorité, et lorsque
ce goût des romans lui fut passé, madame de Sévigné ne le reniait pas tout à fait. Elle alléguait l’exemple de madame de la
Fayette, et disait avec un sens parfait : « Vous n’aimez pas les
romans, et vous avez fort bien réussi ; je les aimois, je n’ai
pas trop mal couru ma carrière ; tout est sain aux sains... Je
trouvois qu’un jeune homme devenoit généreux et brave en
voyant mes héros, et qu’une fille devenoit honnête et sage en
lisant Cléopatre. Quelquefois il y en a qui prennent un peu
les choses de travers ; mais elles ne feroient peut-être guère
mieux, quand elles ne sauroient pas lire ; ce qui est essentiel c’est d’avoir l’esprit bien fait[2]. »
Ces échappées attrayantes dans le pays des chimères, dont les mauvais styles même ne la pouvaient détourner, ne nuisaient point au plaisir plus sévère qu’elle trouvait dans des lectures plus solides. Elle savait que le goût qui ne se nourrit que de frivolités, a bientôt les pâles couleurs[3]. Les fictions l’amusaient ; mais elle avait assez de sérieux dans l’esprit pour aimer à chercher son instruction dans la vérité. Nous avons vu que, dans sa bibliothèque, l’histoire et les mémoires n’étaient pas oubliés. Elle ne lisait pas seulement les chefs-d’œuvre