Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 1.djvu/173

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
143
SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


haute situation, « son esprit y étoit une dignité[1] » Ses lettres, qui avaient une grande réputation, l’y avaient fait connaître ; et quand elle y venait, par la finesse et la vivacité de ses reparties, par ses traits piquants et ses jolies épigrammes, elle ne restait pas au-dessous de l’idée qu’on s’était faite d’elle. Rien ne peut mieux faire connaître la considération dont elle jouissait, que de la voir non-seulement invitée à une représentation d’Esther, mais placée à côté de madame de Maintenon, qui lui avait fait garder un siége auprès d’elle. Une telle distinction ne s’expliquerait pas assez par les privilèges que l’esprit sait conquérir, si la légèreté de sa vie avait été telle qu’elle ne lui eût pas permis de conserver l’estime du monde. Il faut évidemment se représenter cette légèreté de madame de Coulanges comme toujours très-décente.

Au reste, vers ce temps des représentations d’Esther, son caractère avait beaucoup changé. Cette femme dont l’humeur avait été si frivole, mais dont, au fond, l’esprit ne manquait pas de solidité, finit par prendre en grand dégoût ce monde et ces plaisirs qui l’avaient tant charmée. Elle ne cherchait plus que le repos ; et, quoique la pente de son esprit la ramenât quelquefois, malgré elle, à ces épigrammes qu’elle aiguisait si bien, en général ses pensées étaient devenues graves. Tandis que son mari restait éternellement jeune, jusqu’à la puérilité, et se laissait toujours gouverner par le plaisir, madame de Coulanges avait senti que le temps de la folie était passé. La sagesse, la piété, le détachement, le mépris des vanités mondaines et l’amour de la retraite étaient entrés dans son cœur. C’est alors que ses lettres font bien découvrir tout ce qu’il y avait de haute distinction et tout ce qui s’était longtemps caché de raison sérieuse dans l’esprit de cette aimable étourdie. Si l’on veut bien voir le contraste de cette seconde vie de madame de Coulanges avec l’incurable futilité de son mari, il faut lire la lettre qu’elle lui écrivait en 1691, quand il était à Rome avec le duc de Chaulnes, et que tout ce qu’il y voyait lui semblait mettre la foi à une rude épreuve. C’est là qu’elle lui disait : « Mon cher Monsieur, il faudroit songer à quelque chose de plus solide. » On éprouve un grand

  1. Lettre de madame de Sévigné à madame de Grignan, 5 avril 1680.