et un zèle, disait-elle, pour les intérêts du roi son maître,
qui ne peut se comparer qu’à la négligence qu’il a pour les
siens. » C’était là en effet la grande plaie de cette maison. La
négligence et aussi le faste en commencèrent de bonne heure la
ruine. Le jeu s’en mêla ; et les meilleurs conseils ne purent
jamais rien pour ralentir cette marche vers l’abîme. Madame
de Grignan n’était pas moins inattentive que son mari dans la
gestion de sa fortune, ni moins excessive dans ses orgueilleuses
dépenses. Madame de Sévigné, qui ne cessa jamais d’avertir
ces deux dissipateurs, eut, des l’année 1671, à leur représenter
la folie des pertes qu’ils faisaient l’un et l’autre au jeu. Leurs
prodigalités de toute espèce l’effrayaient. Elle leur écrivait
qu’ils auraient bientôt les jambes rompues et n’iraient plus du
tout : « Ce sont des brèches sur d’autres brèches, et des abîmes
sur des abîmes[1]. » Elle avait envie de leur envoyer le bon abbé
avec ses excellents jetons ; car c’était lui qui, dans cette famille,
était le génie de l’ordre et de l’économie, et il avait commencé,
lui aussi, avant même le premier départ de madame de Grignan pour la Provence, à concevoir de vives inquiétudes et à
prévoir un naufrage, qui, écrivait-il, « arrive tous les jours aux
plus grandes et plus puissantes maisons du royaume, quand le
désordre commence à s’y mettre et qu’il n’y a point de pilote
pour conduire le vaisseau[2]. » Mais le mal était sans remède. Il
venait en partie de la situation difficile d’un lieutenant général
obligé de représenter comme un gouverneur, sans en avoir les
appointements, et qui n’arrachait aux députés des assemblées
qu’avec toutes les peines que nous avons vues, des sommes
beaucoup trop modiques pour combler ce gouffre sans fond. Il
venait aussi, comme nous le disions tout à l’heure, du caractère de M. de Grignan, qui avait beaucoup de laisser aller dans
ses propres affaires, et de celui de sa femme, plus glorieuse
encore que tous ces Grignan qu’on appelait glorieux, et qui
aimait à se ruiner magnifiquement.
Nous n’avons pu parler de cette Provence et de ce gouvernement, où madame de Sévigné, même absente, vivait plus