cette rigueur, et, sans mécontenter la cour, échappa à l’exécution d’ordres odieux qui l’auraient à jamais perdu dans l’esprit
des Provençaux. C’était par la main d’une femme que, sans le
savoir sans doute, une grande province avait été protégée.
Au milieu de tous ces embarras et de tous ces soucis de gouvernement, le comte de Grignan fut consolé par un succès qui lui fit honneur, dans une affaire à laquelle, cette fois, ni madame de Grignan ni madame de Sévigné ne pouvaient prendre part. En 1673, le roi ayant résolu de s’emparer de la principauté d’Orange, par représailles contre le stathouder Guillaume, chargea M. de Grignan de cette exécution. Il ne fallait pas pour cela une armée. Le gouverneur hollandais Berkoffer n’avait avec lui, dans la citadelle de la ville d’Orange, qu’un petit nombre de soldats et quelques canons. M. de Grignan, de son côté, n’avait ni artillerie, ni hommes : un méchant régiment des galères seulement. On plaisantait beaucoup sur une expédition où l’attaque et la défense disposaient de moyens si formidables. À Versailles, on disait qu’il ne faudrait que des pommes cuites pour le siège ; et le comte de Guilleragues demandait qu’on coupât la tête au duelliste Grignan pour ce combat seul à seul contre Berkoffer. M. de Grignan riait moins : il sentait qu’un échec le rendrait ridicule, diminuerait beaucoup sa considération dans la province, réjouirait et enhardirait ses ennemis. Il fit appel à la noblesse de la Provence et du Comtat. Cinq cents gentilshommes vinrent volontairement le joindre. En se résignant à faire lui-même, malgré sa gêne extrême, les dépenses que nécessitait ce rassemblement de noblesse, il finit par se trouver prêt, et, le 12 novembre, il attaqua. Après deux décharges de canon, la citadelle se rendit. L’exploit de ce siège sans larmes n’avait rien de bien triomphant ; mais M. de Grignan avait montré du zèle. La preuve d’attachement que lui avaient donnée tant de gentilshommes, accourus sous son commandement pour l’amour de lui, et la dépense qu’il n’avait pas ménagée, lui attirèrent de toutes parts des félicitations, et le grandirent dans l’estime de ses gouvernés. Le roi dit à souper : « Je suis content de Grignan ; » et madame de Sévigné envoya ses applaudissements à son gendre.
Elle avait moins d’occasions de lui adresser des compliments sur ses affaires que sur celles de l’État. « Il a une religion