un bon et honnête homme, » le portrait n’est vraiment pas désavantageux.
Sévigné avait d’autres titres à l’amitié de sa mère qu’une certaine conformité de caractère et d’esprit. Son amour filial était touchant. Inépuisable auprès d’elle en gentilles prévenances, il cherchait toujours à l’égayer et à lui plaire. Amusant et plein d’esprit, il savait la faire rire aux larmes ; il n’aimait rien mieux que sa compagnie et son entretien ; il était son lecteur assidu dans sa solitude, son garde-malade, dévoué comme une fille, quand elle avait besoin de ses soins. Au lieu d’être jaloux de l’excessive tendresse qu’elle avait pour sa sœur, il se mettait de moitié dans ce sentiment avec une générosité qui ne parut jamais forcée, et qui dans aucun temps ne s’est démentie. Il se contentait de quelques taquineries, en riant, sur une si visible prédilection[1]. Dans les désordres où sa jeunesse se laissa entraîner par faiblesse, mais non par corruption, il ne voulut jamais rien cacher à sa mère ; c’était à elle qu’il faisait ses vilaines confidences, non comme un fanfaron de vice, mais comme un étourdi dont le cœur était bon et franc, qui venait se faire gronder et se laissait dire « un petit mot de Dieu. » Mystères du cœur ! Si madame de Sévigné devait faire cette faute de préférer un de ses enfants, pourquoi ne fut-ce pas celui-là ? Ce ne fut pas lui, ce nous semble, qui lui coûta le plus de larmes. Il est difficile de ne pas croire que ce fut lui qui l’aima le plus. Mais n’en est-il point presque toujours ainsi ? Les affections immodérées sont rarement payées de retour ; et quand les parents recueillent le triste fruit d’une aveugle prédilection, souvent ils sont consolés par ceux de leurs enfants qu’ils ont aimés avec moins de faiblesse.
Quand madame de Grignan partit pour la Provence, Sévigné était depuis longtemps revenu de son expédition de Candie, qui ne l’avait retenu loin de la France que jusqu’au mois de mars 1669, et qui avait été moins heureuse et moins utile que glorieuse. Il ne se trouvait cependant pas auprès de sa mère au moment du départ de sa sœur. Il avait été envoyé à Nancy, que les troupes françaises occupaient depuis la prise de possession récente de la Lorraine. Il y était alors avec la com-
- ↑ Lettre de madame de Sévigné à madame de Grignan, 15 avril 1671.